Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

STROHEIM ERIC VON (1885-1957)

Un double fascinant

La fascination que Stroheim exerça de son vivant procédait en partie de celle que possédait dans ses films son personnage de prédilection, en dépit de travers et de vices étalés sans vergogne : confusion que l'intéressé fit tout pour entretenir. Cette mythomanie suggère deux interprétations. Stroheim a pu vouloir compenser les humiliations de sa jeunesse : juif, il s'invente une famille noble ; déserteur, il s'affirme spécialiste des questions militaires ; réduit pendant dix ans à des métiers misérables, il joue les riches oisifs. Mais il a pu aussi donner libre cours aux instincts qu'il réprimait dans la vie courante et projeter sur un double fictif, qu'il traîne dans la boue avec autant de complaisance qu'il met à l'incarner, ce qu'il aurait rêvé être.

L'incompétence et la mauvaise foi des producteurs qui restaient fermés à son idéal artistique ne sont pas les seules causes qui l'ont fait choisir comme bouc émissaire par Hollywood, chargé des péchés de prodigalité et d'érotisme. Prodigue pour lui-même (après avoir gagné beaucoup d'argent pendant quarante ans, il est mort pauvre), il eût été surprenant qu'il ne le fût pas avec les deniers d'autrui. Son insouciance à l'égard des devis et des plans de travail trouve sa source dans son perfectionnisme, mais aussi dans son incapacité à juger si un plan est bon et si une séquence est utile avant de les avoir tournés, et dans la jouissance qu'il éprouve à régner en despote sur le plateau d'un studio. D'autre part, à une époque où domine encore une morale puritaine, il est un des premiers à en violer les interdits. Ses scénarios constituent un catalogue des perversités sexuelles. Leur représentation allusive paraît aujourd'hui anodine, mais, au moment même, elle ne trompa pas les esprits perspicaces qui en admirèrent l'audace, ni les censeurs qui la condamnèrent.

Cet auteur né, qui n'a été surpassé par personne, a fait ses débuts à trente ans, sans formation préalable, avec une maîtrise qui est restée intacte jusqu'à sa mort (sa tombe se trouve à Maurepas, dans les Yvelines). De plus, il tint la gageure de devenir célèbre en incarnant des figures antipathiques et de le rester en jouant des rôles secondaires dans des bandes médiocres : « Un figurant à mille dollars par jour », ainsi qu'il se définissait lui-même. Outre l'emploi qu'il s'est taillé sur mesure, on n'oubliera pas sa composition du commandant de La Grande Illusion (1937) ni son interprétation du majordome de Sunset Boulevard (1952). Mais c'est dans la vie qu'il a joué son meilleur rôle.

<it>La Grande Illusion</it>, de Jean Renoir - crédits : Collection privée

La Grande Illusion, de Jean Renoir

Boulevard du crépuscule, B.Wilder - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Boulevard du crépuscule, B.Wilder

— Denis MARION

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Denis MARION. STROHEIM ERIC VON (1885-1957) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>Les Rapaces</it>, d'Eric von Stroheim - crédits : Collection privée

Les Rapaces, d'Eric von Stroheim

<it>La Grande Illusion</it>, de Jean Renoir - crédits : Collection privée

La Grande Illusion, de Jean Renoir

Boulevard du crépuscule, B.Wilder - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Boulevard du crépuscule, B.Wilder

Autres références

  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par Marc CERISUELO, Jean COLLET, Claude-Jean PHILIPPE
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    ...muet tend vers la perfection. Il est à présent un mode d'expression maîtrisé, fluide, qui transmet la vision intime des créateurs : Griffith, Chaplin, Stroheim, Keaton, Harry Langdon, auxquels sont venus se joindre Sternberg, Vidor, Hawks, alors débutants. Jamais les gags de la comédie burlesque n'ont...
  • ÉROTISME

    • Écrit par Frédérique DEVAUX, René MILHAU, Jean-Jacques PAUVERT, Mario PRAZ, Jean SÉMOLUÉ
    • 19 774 mots
    • 7 médias
    ...Tout grand cinéaste intègre ainsi l'érotisme dans un univers personnel. La violence, la méchanceté, voire la folie sadique, dominent dans les films de Stroheim, se résumant en deux images féminines : l'une de chair blonde et dorée, appelant les tortures, avec des yeux faits pour verser mille larmes d'humiliation...
  • SWANSON GLORIA (1899-1983)

    • Écrit par Gérard LEGRAND
    • 1 156 mots
    • 1 média

    Josephine Mae Swanson était née à Chicago dans les dernières années du siècle. D'ascendance mi-italienne mi-suédoise, elle débute au cinéma comme « extra » parce qu'elle était venue voir le tournage d'un film Essanay, par simple curiosité (1913) : trois ans plus tard, elle épouse Wallace Beery et...

  • WILDER BILLY (1906-2002)

    • Écrit par Marc CERISUELO
    • 2 395 mots
    • 1 média
    ...–, Samuel « Billie » Wilder, sujet de François-Joseph, est éduqué dans la capitale des Habsbourg. Quand il croisera bien plus tard son autre maître, Eric von Stroheim (auquel il confiera le rôle du maréchal Rommel dans Les Cinq Secrets du désert et celui de Max von Mayerling dans Sunset Boulevard...

Voir aussi