Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

CHEVILLARD ÉRIC (1964- )

Éric Chevillard - crédits : Patrice Normand/ Leextra/ Leemage/ Bridgeman images

Éric Chevillard

Éric Chevillard est très discret sur sa vie, qu’il aime à présenter comme sans intérêt. Il termine ainsi malicieusement la notice rédigée pour le Dictionnaire des écrivains contemporains par eux-mêmes par la mention : « Hier encore, un de ses biographes est mort d'ennui. » Né le 18 juin 1964 à La Roche-sur-Yon, il a fait des études de journalisme et vit à Dijon avec sa femme et ses deux filles. Dans un monde où communiquer est la règle, il se consacre à l’écriture, se tient à l’écart des médias et perpétue, à sa façon plus ironique qu’altière, la figure de l’écrivain sans concessions.

À vingt-trois ans, Éric Chevillard entre en littérature avec Mourir m’enrhume (1987), publié aux Éditions de minuit, maison à laquelle il est resté fidèle pour ses principaux textes. Ces singulières fictions de fictions à plusieurs niveaux de lecture se donnent des objets impossibles et ne s’affichent comme des « romans » que pour mieux exploiter la plasticité du genre. Depuis le 18 septembre 2007, « L'autofictif » renouvelle le jeu du blog ; alimenté quotidiennement, avec une contrainte invariable de trois courts fragments, sans illustrations ni commentaires. Chaque année les archives sont retirées pour être publiées par L’Arbre vengeur. Plus proche du carnet d’écrivain que du journal intime,« L’autofictif » subvertit l’autofiction annoncée : la confidence, dès qu’elle s’amorce, se dérobe, et l’écriture de soi devient la matière d’aphorismes burlesques, qui imposent néanmoins une vision du monde.

Démolir la littérature ?

Éric Chevillard se fait une haute idée de l’écriture – imprimée ou en ligne –, présentée comme vitale : « La littérature ayant tout de même pour mission de nous offrir une version plus acceptable de l’existence – non par son propos inévitablement aussi anecdotique que tout ce qui nous arrive, mais par sa forme, surprenante, poétique, inventive et maîtrisée –, rien n’est plus inadmissible qu’un livre médiocre, qui aggrave la situation et ajoute à notre infortune. » Dès les premiers mots de son premier roman, c’est une consonance, « mourir m’enrhume », qui déclenche le récit. Le langage commun abonde en clichés dont il développe la logique pour la retourner et démolir les idées reçues. Le Caoutchouc décidément (1992) affirme d’ailleurs la supériorité du caoutchouc, souple et transformable par excellence, sur l'homme, rigide et prévisible. L’humour et l’ironie ont une fonction stratégique de sabotage de l’intérieur. La langue est un agent de métamorphoses et de paradoxes, qui provoque des situations inédites et perturbe le jeu de la référence.

La littérature n’échappe pas à cette entreprise de démolition. Chevillard désespère le critique en déjouant les étiquettes par lesquelles il tente de le définir. Il explore les genres pour les détourner : roman d’aventures (LesAbsences du capitaine Cook, 2001), récit de voyage (Oreille rouge, 2005), conte (LeVaillant Petit Tailleur, 2004), légende (Choir, 2010), édition critique (L’Œuvre posthume de Thomas Pilaster, 1999), biographie (Dino Egger, 2011), autobiographie (Du hérisson,2002,Monotobio, 2020), journal intime (L’Autofictif). Les multiples écrivains fictifs qui peuplent son œuvre incarnent, avec un savoureux sens de l’autodérision, toutes les postures possibles de l’écrivain en conflit avec le monde. L'Œuvre posthume de Thomas Pilaster dramatise ce combat intérieur : un écrivain édite son ami pour le démolir ; Démolir Nisard (2006)révèle un critique au prétexte de l’éreinter, Dino Egger est la biographie négative d’un génie qui aurait dû exister. Le narrateur peut aussi bien être le lecteur, l’auteur, son biographe, ou un hérisson.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : agrégée de lettres, docteure ès lettres, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France

Classification

Pour citer cet article

Christine GENIN. CHEVILLARD ÉRIC (1964- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 29/09/2020

Média

Éric Chevillard - crédits : Patrice Normand/ Leextra/ Leemage/ Bridgeman images

Éric Chevillard

Autres références

  • LITTÉRATURE FRANÇAISE CONTEMPORAINE

    • Écrit par
    • 10 290 mots
    • 10 médias
    ...d’espionnage (Lac,1989) ou d’anticipation (Nous trois,1992) ; plus tard sur les formes biographiques (Ravel, 2006) et le roman historique (14, 2012). Éric Chevillard moque le récit de voyage (Oreille rouge, 2005) et le conte (Le Vaillant Petit Tailleur, 2003), fait dysfonctionner l’écriture de soi...
  • ROMAN - Le roman français contemporain

    • Écrit par
    • 7 971 mots
    • 11 médias
    ...ses narrations de réels ou possibles scénarios cinématographiques (Cinéma, 1999 ; L’Absolue Perfection du crime, 2001 ; Insoupçonnable, 2006) ; Éric Chevillard dont la fantaisie moque les absurdités du monde et de ses pratiques littéraires avec une férocité jubilatoire (L’Œuvre posthume...