Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

HOCQUARD EMMANUEL (1940-2019)

Emmanuel Hocquard serait né à Tanger en 1940. Dans Le Cap de Bonne Espérance (1988), résumant dix ans de publications, il écrit : « Tel fut mon art : de brusques contrastes entre un prosaïsme trivial et de nostalgiques élans de l'âme ; la rapidité des changements de ton, l'emploi d'une langue familière qui ne s'interdisait pourtant pas les emprunts érudits, les réminiscences mythologiques, le recours aux abstractions. » L'œuvre qui multiplie et mêle les tons et les genres comme à loisir, au point de faire éclater leur tranquille clôture sur soi, se présente sous le sceau d'un certain refus, d'une volonté « archéologique » de travailler avec et contre le vécu quotidien le plus ordinaire, les lieux habités ou traversés, les êtres rencontrés, aimés, oubliés, perdus. De L'Album d'images de la villa Harris (1978) à la Théorie des tables (1992), en passant par Les Dernières Nouvelles de l'expédition sont datées du 15 février 17... (1979) et Une journée dans le détroit (1980), on pourrait dire que la poésie est pour l'auteur non pas tant un genre littéraire qu'un moyen d'explorer la réalité sous toutes ses faces, dans toutes ses dimensions spatiales et temporelles. Dans un petit texte paru en 1985 (Des nuages & des brouillards), repris en 1987 dans Un privé à Tanger, Emmanuel Hocquard dit, dans une prose aérienne et déliée, la proximité de la littérature et de la parole anonyme, sans auteur, qui se fait écho du monde, mêlant réalité et fiction, espoirs et terreurs. « Celui qui écrit a une oreille dans la rumeur du monde et une oreille dans la rumeur des livres. Sa tête est pleine d'échos et de songes creux. En écrivant, il cherche le silence. » En 2018, Le Cours de Pise a réuni les notes pour les leçons données à l’école des Beaux-Arts de Bordeaux entre 1993 et 2015.

L'étrange effet de continuité des textes écrits par Emmanuel Hocquard provient de leur obstinée exploration des mêmes motifs, de la même interrogation, mi-désabusée mi-angoissée, du réel. La limpidité tout aérienne des textes placée sous le signe de l'air (Hocquard a traduit le seul poème publié de Pascal Quignard, écrit en latin : Dans l'air entre les branches des hêtres) ne doit pas faire oublier leurs bords sombres, terrorisés. Le lisible ne donne jamais à voir le visible sans les ombres « d'une obscure menace ». Les poèmes, souvent dispersés dans les livres de prose puis repris en volumes (Les Élégies, en 1990, Théorie des tables, en 1992, Un test de solitude, recueil de sonnets publié en 1998, Conditions de Lumière, 2007, ou encore Méditations photographiques sur l’idée simple de nudité, 2009), témoignent du refus de tout lyrisme, de toute métaphore trop facilement idéalisante. Économe en adjectifs, l'écriture se veut au plus près du concret matériel et historique. Emmanuel Hocquard, est également l'auteur de nombreux récits (Aerea dans les forêts de Manhattan, 1985 ; Le Cap de Bonne Espérance, 1989 ; Le Consul d'Islande, 2000). Il a traduit non seulement Pessoa ou Cisneros mais aussi les poètes « objectivistes » américains et Charles Reznikoff. Il fonde avec le centre de Royaumont Un bureau sur l'Atlantique destiné à favoriser les échanges entre poètes français et américains. Une anthologie dirigée en collaboration avec Claude Royet-Journoud en résultera : 49 + 1 Nouveaux Poètes américains d'aujourd'hui (1991). Emmanuel Hocquard a joué un rôle important dans la diffusion de la poésie contemporaine : de 1977 à 1991, responsable à l'ARC au musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, de la section littérature, il organise des lectures faites par les auteurs eux-mêmes et publie un bulletin qui constitue une précieuse anthologie de la poésie de ces années. De 1969 à 1986, il a fondé et dirigé avec un peintre,[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Francis WYBRANDS. HOCQUARD EMMANUEL (1940-2019) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • LITTÉRATURE FRANÇAISE DU XXe SIÈCLE

    • Écrit par Dominique RABATÉ
    • 7 278 mots
    • 13 médias
    ...(1937-2015) qui déclare la « poésie inadmissible » et toute une « modernité négative », selon l’expression de La Bibliothèque de Trieste (1988), qu’incarne son auteur, Emmanuel Hocquard (1940-2019), pour qui l’écriture doit viser à une grammaire littérale des énoncés, contre toute emphase subjective.
  • LYRISME, notion de

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 1 522 mots
    • 3 médias
    Une part de l'écriture la plus contemporaine s'est construite par rejet délibéré de ce qu'Emmanuel Hocquard appelle les « maîtres chanteurs », associant le chant poétique au chantage (Tout le monde se ressemble, 1995) : « une bonne cure d'amaigrissement musical s'impose » – mais jusqu'où...
  • POÉSIE

    • Écrit par Michel COLLOT, Dominique VIART
    • 9 394 mots
    • 2 médias
    ...questionnements ontologiques (ceux d'Yves Bonnefoy, Jacques Dupin ou André du Bouchet). Regroupés aux éditions Orange Export Ltd (1969-1986), fondées par Emmanuel Hocquard, puis dans la revue fig. de Claude Royet-Journoud (créée en 1989), ces poètes (Hocquard, Royet-Journoud, Jean Daive, Anne-Marie Albiach,...

Voir aussi