ÉCONOMIE MONDIALE 2000 : vers un rééquilibrage de la croissance mondiale ?
L' économie mondiale a enregistré en 2000 l'une de ses meilleures performances depuis le premier choc pétrolier. L'accélération de l'activité aux États-Unis, en Asie et en Europe a porté le taux de croissance du P.I.B. mondial à près de 5 p. 100, soit un rythme observé seulement quatre fois au cours du dernier quart de siècle, en 1976, 1978, 1984 et 1988. Le redressement des importations des économies en développement, après deux ans de stagnation, a propulsé la croissance des échanges mondiaux à plus de 10 p. 100 en volume, soit le double de 1998 et 1999. La poursuite de l'expansion a permis une nouvelle décrue du sous-emploi, notamment dans l'Union européenne où le taux de chômage est revenu de 11,5 p. 100 à moins de 9 p. 100 en 2000, tandis qu'il restait collé à son plancher de 4 p. 100 aux États-Unis. Elle se traduit aussi par une amélioration quasi générale des finances publiques dans les pays développés, à l'exception notable du Japon.
Cet emballement de l'activité mondiale, survenu moins de deux ans après la tempête financière de l'automne de 1998, s'accompagne de tensions sur les prix, qui restent modérées, en dépit de l'envolée du prix du pétrole. La menace inflationniste, qui a suscité une vive remontée des taux d'intérêt à court terme aux États-Unis et en Europe au premier semestre de l'année 2000, semble désormais contenue. Pour l'ensemble du monde développé, l'inflation a repassé la barre des 2 p. 100, après le creux historique de 1998-1999, tandis qu'elle est revenue dans les économies en développement à moins de 6 p. 100, soit le taux le plus bas depuis les années 1960. Cette croissance peu inflationniste se conjugue cependant avec des déséquilibres financiers persistants, dont la soutenabilité n'est pas assurée. Reléguée au second plan en raison des perspectives ouvertes par la nouvelle économie, la question du financement du déficit courant américain pourrait retrouver toute son acuité dans le contexte du ralentissement de l'activité amorcé dans la seconde partie de l'année 2000.
États-Unis : le cycle malgré tout
Alimentée par les progrès exceptionnels de la productivité et la diffusion rapide des nouvelles technologies de l'information et de la communication, l'idée selon laquelle l'économie américaine serait entrée dans un nouvel âge d'or, caractérisé par un potentiel de croissance élargi et une activité moins sujette aux fluctuations cycliques, n'a cessé de gagner du terrain ces dernières années (voir par exemple O.C.D.E., 1999). Le redressement du rythme tendanciel de la productivité du travail dans le secteur privé non agricole, de l'ordre de un point par an dans la seconde partie des années 1990, s'expliquerait pour plus de moitié, voire pour les trois quarts, par la diffusion des nouvelles technologies (F.M.I., World Economic Outlook, sept. 2000). Compte tenu du rythme d'accroissement de la population active (1,2 p. 100 par an), le taux de croissance potentielle de l'économie (estimé par la somme des rythmes tendanciels de croissance de la productivité du travail et de la population active) s'établirait à 3,5 p. 100 par an, au lieu de 2,5 p. 100 dans les années 1980 (O.F.C.E., Revue de l'O.F.C.E., no 73).
L'une des manifestations les plus remarquables de la mutation en cours est le caractère non inflationniste de la croissance américaine. Entre 1992 et 1999, l'inflation est restée remarquablement stable autour de 2 p. 100, malgré la baisse continue du taux de chômage. Elle n'a commencé à s'accélérer qu'à partir de 1999, sous l'effet notamment de la remontée du prix du pétrole. Lorsqu'on exclut les produits bruts de l'indice des prix, l'inflation dite sous-jacente ne se redresse sensiblement qu'à partir du printemps 2000. Elle est modérée, il est vrai, par la forte appréciation du dollar au cours de la période qui, en réduisant le prix en dollars des importations, a obligé les entreprises américaines à fournir d'importants efforts de productivité.
Le resserrement de la politique monétaire, amorcé à la mi-1999 et poursuivi jusqu'en mai 2000, ne s'explique qu'en partie par l'évolution des prix à la consommation. Depuis son discours célèbre de décembre 1996 sur « l'exubérance irrationnelle » de Wall Street, le gouverneur de la Federal Reserve (Fed), Alan Greenspan, fait régulièrement référence à l'évolution du prix des actifs financiers dans son appréciation des conditions monétaires de l'économie. Dopés par le discours sur la nouvelle économie et stimulés par les baisses de taux intervenues à la fin de 1998, à la suite de la crise financière internationale, les indices boursiers n'en ont pas moins poursuivi leur envolée au cours des trente mois suivants, le Dow Jones progressant de plus de 50 p. 100 et le Nasdaq (marché américain des valeurs de haute technologie) doublant de valeur entre janvier 1997 et juin 1999.
Devenue manifeste, la surévaluation de la Bourse faisait planer le risque d'une correction brutale en cas d'accélération de l'inflation ou de défaillances financières, et par conséquent d'un ajustement sévère à la baisse de la demande privée. C'est ce risque que la Fed s'est efforcée de conjurer par une politique de relèvement graduel du taux d'intérêt conclue par une hausse d'un demi-point, à 6,5 p. 100, en mai 2000. Administrée avec la plus grande prudence pour ne pas provoquer le krach redouté, la restriction monétaire a permis de stabiliser le Dow Jones à un haut niveau à partir de la mi-1999, tandis que la bulle technologique se dégonflait, le Nasdaq reculant de près de moitié entre mars et novembre 2000. Dès la fin du printemps, les signes de ralentissement de l'activité se multipliaient ; la croissance du P.I.B. est revenue d'un rythme annuel de 6 p. 100 au premier semestre à moins de 3 p. 100 dans la seconde partie de l'année.
Un « atterrissage en douceur » de l'économie américaine est pourtant loin d'être assuré. Avec un taux d'épargne négatif pour la première fois depuis les années 1930, les ménages américains sont particulièrement vulnérables à une chute de la Bourse. L'endettement du secteur privé (ménages et firmes), largement gagé sur la valeur virtuelle des actions, atteint le niveau record de 150 p. 100 du P.I.B. L'excès de demande privée explique le gonflement du déficit courant, qui atteindrait 4,5 p. 100 du P.I.B. en 2000, à comparer à 1,7 p. 100 en 1997. Jusqu'à présent, le financement de ce déficit s'est opéré sans difficulté. La haute rentabilité des placements et des investissements aux États-Unis a stimulé les entrées nettes de capitaux privés et propulsé le dollar vis-à-vis des monnaies européennes à des niveaux inconnus depuis le milieu des années 1980. Le ralentissement de la croissance américaine et l'ajustement à la baisse des perspectives de profit qui l'accompagne laissent cependant entrevoir une inversion des flux de capitaux, avec l'Europe notamment, dont les premiers signes étaient perceptibles en fin d'année.
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Écrit par
- Jacques ADDA : maître assistant à l'université Bar-Ilan (Israël), département de sciences politiques et relations internationales
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