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DU FU[TOU FOU](712-770)

Avec deux millénaires et demi d'histoire littéraire, il n'est pas étonnant que la Chine ait de la peine à choisir son Dante, son Shakespeare ou son Goethe, à savoir un seul auteur qui dépasserait incontestablement tous les autres. Elle a néanmoins un poète que les hommes de lettres s'accordent à reconnaître, de par la supériorité de sa technique et l'absolue sincérité de ses vers, comme « le plus grand des poètes chinois », le « saint de la poésie » : Du Fu. Mais, s'ils reconnaissent Du Fu comme « le plus grand », ils ajoutent aussitôt que son aîné et ami Li Bo est son pair. C'est que ces deux amis représentent les deux tendances de l'âme chinoise : Li Bo, taoïste anarchique, exprime la tendance dionysiaque, en quête de l'ivresse de la nature ; Du Fu, par contre, est l'homme social engagé, le tenant de l'orthodoxie confucianiste. Sa passion intense pour l'ordre public, pour le bon gouvernement servi avec intégrité par des fonctionnaires loyaux prend corps dans la perfection formelle de ses vers, image de l'ordre social idéal auquel il aspire. En même temps, contrastes et dissonances, juxtapositions inattendues à couper le souffle montrent combien ses aspirations étaient loin d'être réalisées dans sa vie tourmentées.

Errances et malchances

Du Fu est issu d'une famille, modeste mais de lignage ancien, de petits fonctionnaires à budget limité ; il est le petit-fils d'un poète mineur, Du Shenyan. Très tôt, il montra un réel talent poétique, mais il semble que, comme beaucoup de ses contemporains, il n'ait voulu l'exploiter que pour obtenir un emploi du gouvernement. Il garda sa vie durant l'impression d'être un homme d'État manqué ; cependant, rien ne donne à penser qu'il ait eu des aptitudes quelconques pour la politique ou l'administration, et ses échecs répétés dans la carrière qu'il ambitionnait sont providentiels du point de vue de la littérature chinoise.

De sa vingtième à sa trentième année, Du Fu entreprend des voyages d'agrément et d'intérêt culturel dans l'est de la Chine, ponctués par l'échec à un examen pour un poste d'État passé à la capitale, Chang'an, en 736. Au cours de ses pérégrinations, il fit la connaissance de Li Bo, qui resta son ami tout au long de sa vie. En 746, à trente-quatre ans, il essaie encore de passer un examen d'État. Cette fois, tous les candidats sont refusés par le dictateur Li Linfu, qui détestait les intellectuels.

La même année, Du Fu s'installe dans la capitale. Il essaye à de nombreuses reprises d'obtenir un patronage pour ses écrits, car c'était, en dehors des examens, le moyen d'entrer dans une carrière officielle. Lorsque, en 755, à l'âge de quarante-trois ans, il obtint enfin un petit poste, il était réduit à un tel état de pauvreté qu'un de ses enfants était mort de faim. À la fin de la même année, ce fut la révolte de An Lushan, cette féroce guerre civile qui mit un terme à l'âge d'or du règne de Xuanzong, dévasta la Chine du Nord et ravagea la vie de Du Fu et de ses contemporains. Du Fu était absent de Chang'an lorsque la capitale tomba aux mains de l'armée rebelle en juin 756, mais il fut fait prisonnier tandis qu'il se rendait au centre de la résistance loyaliste au Gansu. Certains de ses poèmes écrits durant cette période décrivent de façon poignante la vie dans une ville occupée par l'ennemi.

En mai 757, Du Fu s'évade de Chang'an et fuit vers Fengxiang, où le nouvel empereur Suzong a établi sa cour ; il se présente devant lui, dit-il, en sandales de paille et les manches trouées au coude. On lui accorda un poste à la chancellerie impériale en récompense de sa loyauté, et on croit qu'il se trouvait dans l'entourage de l'empereur quand celui-ci fit son entrée triomphale[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université d'Oxford (Royaume-Uni)

Classification

Pour citer cet article

David HAWKES. DU FU [TOU FOU] (712-770) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • HAN GAN [HAN KAN] (VIIIe s.)

    • Écrit par Pierre RYCKMANS
    • 1 552 mots
    Du Fu, dans un poème où il faisait l'éloge d'un autre célèbre peintre de chevaux, Cao Ba, lequel fut peut-être le maître de Han Gan, dit que Han Gan « ne savait peindre que la chair et non les os, affligeant ainsi les plus fiers coursiers d'une physionomie dépourvue de vitalité ». Ce jugement, dont la...
  • LI BO [LI PO] (701 env.-env. 762)

    • Écrit par Jean-Pierre DIÉNY
    • 2 094 mots
    Une ancienne querelle oppose les admirateurs de Li Bo à ceux de Du Fu, en un débat sans doute plus fondamental que le parallèle entre Corneille et Racine ou entre Goethe et Schiller. Par la diversité de son inspiration, que certains attribuent à l'expérience d'un homme qui aurait tout vu et tout essayé,...

Voir aussi