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ARBUS DIANE (1923-1971)

En 1972, l'année qui suivit sa mort, le Museum of Modern Art de New York présentait une rétrospective de l'œuvre de Diane Arbus qui faisait d'elle, écrira Philippe Dubois, « par la force des „sujets“ dont elle tire des portraits, par l'effet d'„inquiétante étrangeté“ de son style, par sa cohérence intellectuelle et émotionnelle », l'une des figures majeures de la photographie du xxe siècle – on pourrait ajouter, aujourd'hui, et de l'art contemporain. Cette consécration posthume n'allait pourtant pas sans ambiguïtés. Il s'agissait pour une part d'un succès de scandale : scandale d'images en noir et blanc moins cliniques ou documentaires que frontales, d'êtres que sans doute, sans la photographe, un très large public n'eût jamais rencontrés.

Des freaks : au mieux des phénomènes, au pire des monstres. C'est la réaction première de tout un chacun face à la plupart de ces photographies, à leur succession, réaction qu'il est difficile d'éviter, facile pourtant de dépasser. Car la fascination même laisse place assez vite, en observant chacun des portraits concernés, à un intérêt pour chacun des sujets, dans ce qu'il a d'humain – si différent, semblable. Des jumelles, des nudistes, des travestis, un géant, des bébés, des familles « qui donnent la chair de poule », des « beautés ethniques », des couples aux relations diverses... les uns bizarres, les autres absents, les uns maquillés, gros, les autres essayant de sourire, pleurant. Diane Arbus se savait un talent très particulier, « une sorte de don [pour] percevoir les choses telles qu'elles sont. C'est assez subtil, et ça m'embarrasse un peu, mais je pense vraiment qu'il y a des choses que personne n'aurait vues si je ne les avais pas photographiées ». Son projet, ambitieux, est de se servir de la photographie pour constituer « une sorte d'anthropologie contemporaine ». En privé, elle parle d'une « collection de papillons », qui n'aura rien à voir avec l'essai d'August Sander ayant réuni, avant la Seconde Guerre mondiale, les Hommes du XXe siècle.

Les minorités tranquilles

Diane Nemerov est née à Manhattan le 14 mars 1923, dans une famille de fourreurs aisée. Elle, qui a pris ses premières photographies au début des années 1940, épouse à dix-huit ans un photographe, Allan Arbus, avec lequel elle travaille bientôt à des photos de mode, pour Glamour ou Vogue. Mais parallèlement à leur collaboration (son mari parle d'images fondées sur une idée, « et neuf fois sur dix c'était une idée de Diane »), elle prend des cours auprès de Berenice Abbott, d'Alexey Brodovitch, puis surtout de Lisette Model, à la fin des années 1950. C'est au contact de Model que, cherchant sa voie, Arbus la trouve. Dès cette époque, elle photographie « les coulisses », prend « des photos secrètes dans des bains de vapeur, sur la plage, dans des cinémas », de Central Park à Bowery, de Harlem à Coney Island. Elle photographie des événements – parade de Thanksgiving, festival de San Gennaro, Halloween –, et cherche du travail, d'abord sans succès. En 1959, elle commence à tenir des carnets, ce qu'elle fera jusqu'à sa mort ; elle se sépare de son mari, s'installe avec ses filles (Doon, née en 1945, Amy, en 1954), et entreprend pour un numéro spécial du magazine Esquire, sur New York, un essai photographique destiné à paraître en 1960 sous le titre « Le Voyage vertical – du plus chic au plus sordide ». Des enfants du cours de danse du Colony Club aux détenues d'une prison pour femmes sur Greenwich Street, en passant par des bodybuilders, des mendiants, des boy-scouts, un nain figurant Maurice Chevalier, les artistes de la Jewel Box Revue... À son ami le designer Marvin Israel, elle déclare[...]

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Écrit par

  • : critique, éditeur à l'Encyclopædia Universalis

Classification

Pour citer cet article

Anne BERTRAND. ARBUS DIANE (1923-1971) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • PHOTOGRAPHIE (art) - Un art multiple

    • Écrit par Hervé LE GOFF, Jean-Claude LEMAGNY
    • 10 750 mots
    • 21 médias
    Aux États-Unis, les portraits de Diane Arbus n'ont besoin d'aucun artifice pour crier l'irrémédiable : malheur ou bêtise, solitude et folie. Partiellement influencée par le travail de Lisette Model, elle-même marquée par le regard caustique et parfois violent de Weegee, Diane Arbus exerce une fascination...

Voir aussi