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DE LA MESURE DE L'UTILITÉ DES TRAVAUX PUBLICS, Jules Dupuit Fiche de lecture

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Une nouvelle conception de l'utilité

« L'utilité d'un objet est le sacrifice maximum que chaque consommateur serait disposé à faire pour se le procurer. » Si je suis prêt à payer 20 sous cette bouteille de vin, je gagne « une espèce de bénéfice » de 5 sous en l'achetant à 15 sous. Les 20 sous sont « l'utilité absolue », les 5 sous sont « l'utilité relative ». L'utilité ainsi définie dépend des goûts du consommateur et de sa richesse, mais aussi du volume de sa consommation. « Ainsi, tel acheteur qui aurait acheté 100 bouteilles à 10 sous, n'en achètera que 50 à 15 sous, et n'en aurait acheté que 30 à 20 sous. » Nous sommes ici au plus près des notions d'utilité et de demande du marginalisme des années 1870, associées aux noms de William Stanley Jevons et de Léon Walras.

On passe de l'utilité d'un consommateur à « l'utilité publique » en additionnant toutes les utilités des bénéficiaires de l'investissement. Reprenons l'exemple du canal de Navier, la méthode valant également pour « une machine quelconque ». Une ville consomme donc tous les ans 10 000 tonnes de pierres, payées 20 francs la tonne pour l'extraction et le transport. Une fois le canal construit, le prix de la tonne baissera à 15 francs et la ville en achètera davantage : 30 000 tonnes par an.

Dupuit critique la méthode de Navier en appliquant à la lettre ses recommandations. On peut aussi bien poser que la méthode habituelle imputerait 5 francs d'économie par tonne, soit 150 000 francs pour ce que l'on appelait « l'utilité brute » du canal.

Dupuit compte lui aussi un gain de 5 francs pour chacune des 10 000 tonnes achetées jadis. Mais le gain est moindre pour les 20 000 autres tonnes, ce qu'un exemple numérique va illustrer. Supposons que 4 000 tonnes ne passaient pas par la route à 20 francs, qu'elles utiliseront le canal à 15 francs mais qu'elles ne l'auraient pas utilisé à 18 francs. Le gain vaut ici 3 francs par tonne, soit 12 000 francs en tout. En les évaluant ainsi, Dupuit obtient 46 000 francs « d'utilités relatives » pour les 20 000 tonnes, soit 96 000 francs (50 000 + 46 000) pour le canal, bien moins que ce qu’indiquait la méthode traditionnelle. Cette dernière « conduit ainsi à des résultats complètement faux, et qui peuvent avoir les conséquences les plus graves pour la fortune publique ».

Le canal étant supposé utile, quel sera le moyen le plus rationnel pour le financer ? Imaginons un péage uniforme de 5 francs par tonne transportée. Seules les 10 000 tonnes initiales y trouveraient leur compte, qui donneraient une utilité de 50 000 francs à l'État. Les 46 000 francs restants sont appelés des « utilités perdues », perdues par les consommateurs que le péage a découragé d'acheter.

Le meilleur financement est donc celui qui minimise « l'utilité perdue ». Un péage variable selon les catégories de produits peut y parvenir, d’autant plus élevé que les consommateurs sont disposés à payer plus cher. Ce tarif a « plus d'équité qu'on ne s'y attendait d'abord » puisque ceux qui payent le plus permettent aux autres de consommer.

Les analyses de Dupuit furent adoptées par Alfred Marshall en 1890 (Principes d’économie politique). Au titre de la « rente du consommateur », elles devinrent le fondement de l'économie publique. À partir de 1943, Maurice Allais les a justifiées, dans le cadre très général de sa théorie des surplus. On les utilise quand on envisage une nouvelle infrastructure de transport, mais aussi pour calculer un niveau acceptable de pollution ou pour établir la tarification des conversations téléphoniques.

— François ETNER

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Écrit par

  • : professeur de sciences économiques à l'université de Paris-IX-Dauphine

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Pour citer cet article

François ETNER. DE LA MESURE DE L'UTILITÉ DES TRAVAUX PUBLICS, Jules Dupuit - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 10/02/2009