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DE LA GRAMMATOLOGIE, Jacques Derrida Fiche de lecture

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L’ouverture de la philosophie

Improbable traité, De la grammatologie devient ainsi le lieu d’une triple question : pourquoi, comment et à quel prix poser la question de l’écriture ? Une fois montré que l’interprétation occidentale de l’écriture commande de façon structurante tous les champs de l’expérience, de la pratique et du savoir, le livre reprend les questions essentielles. Une science de l’écriture est-elle envisageable ? À quelles conditions est-elle possible ? Déployées à travers la lecture de Lévi-Strauss et de Rousseau, ces questions remontent le cours de la philosophie. Elles commandent la teneur du travail philosophique, et peut-être plus seulement philosophique, qui doit permettre d’en ouvrir le champ, voire d’en lever les obstacles épistémologiques.

Englobant tous les champs de langage, permettant une critique non seulement de la philosophie mais aussi des sciences humaines, le geste « déconstructeur » – revendiqué, dans cet ouvrage, pour la première fois – se veut résolument affirmatif. L’essai est, de ce point de vue, parfaitement concluant : l’écriture élargie de l’inscription métaphysique est la condition de l’épistémè. Une hypothétique science de l’écriture devrait chercher son objet à la racine de la scientificité. La pensée qu’elle demande est d’une autre « nature », suppose une autre « culture » ; elle recoupe la pensée de la trace que suit, ici et là, l’œuvre du philosophe. Une telle pensée renvoie à un mouvement de provenance, à une structure de « précédance » qui surprend l’idée d’origine en soulignant, loin de toute présence pure, l’écart du sujet à lui-même. La trace évoque cette racine radicale (archi-originaire) qui fraye l’impensable passage, le possible partage entre parole et écriture. La trace n’est rien de tangible, pas même cette différance qu’elle signe. Parce qu’elle n’est rien d’autre qu’écriture, son esprit d’ouverture déconcerte toute discipline fatalement réductrice ; elle porte au mieux un autre savoir en germe, où la variation indéfinie du sens prend le pas sur la métaphysique de la présence. Dans de telles conditions, une science positive de l’écriture doit être tenue pour impossible.

Ainsi, au cœur même du projet initial, se trame une remise en question radicale de l’anthropologie, aussi bien d’une certaine idée de l’homme et de la science léguée par toute l’histoire de la philosophie. Fondant, à nouveaux frais, son esprit dans sa lettre, la silencieuse graphie de la grammatologie entraîne d’autant mieux l’aventure de la philosophie à penser un avenir qu’elle appelle et qu’elle trace.

— Didier CAHEN

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Pour citer cet article

Didier CAHEN. DE LA GRAMMATOLOGIE, Jacques Derrida - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 10/02/2009

Autres références

  • DERRIDA JACQUES (1930-2004)

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    • 3 352 mots
    • 1 média
    Le privilège dont jouissent la voix et la parole dans la tradition philosophique permet à Derrida de caractériser celle-ci — notamment dans De la grammatologie (1967) — comme phonocentrisme ou logocentrisme. Il ne s'agit pas pour lui de s'y opposer, mais d'en critiquer la logique, en commençant...