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CLARÍN ou LEOPOLDO GARCÍA ALAS Y UREÑA (1852-1901)

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Une erreur de perspective

Il est évident que dans toute son œuvre les implications subjectives sont grandes. Clarín ressentait avec une force presque superstitieuse le poids du passé – poids de sa propre enfance ou des générations antérieures. Il vénérait les noms que la tradition avait consacrés, n'exerçait guère sa férocité à l'endroit des écrivains les plus connus de son époque, se souciait peu de découvrir chez les jeunes poètes ou romanciers des valeurs nouvelles. Devant la vie et devant la littérature, on eût dit qu'il se sentait et se voulait seul, à contre-courant, superbe et redouté, indifférent au fait que le temps passait en dehors de lui : un an avant la publication de La Régente, la Fédération des travailleurs de la région espagnole tenait à Valence son troisième congrès ; en 1887, le gouvernement, devant l'ampleur du mouvement ouvrier, autorisait la constitution de syndicats ; Clarín ne paraît pas avoir vécu dans ce pays en effervescence, il n'a jamais voulu reconnaître qu'une nouvelle société était en formation, qu'un nouveau public littéraire était apparu et qu'un Pérez Galdós, en écrivant ses Épisodes nationaux (1873-1912), répondait aux besoins de ce public. Clarín préférait mépriser le « vulgaire » et ne considérer que les gens « distingués », la minorité choisie qui, seule, était détentrice du goût et de la culture. Ses préventions sociales l'aveuglèrent et le rendirent partial plus encore par ce qu'il oubliait que par ce qu'il disait. Dans ses textes critiques rarement réédités (mis à part un recueil sur Pérez Galdós et un autre où figurent des essais sur le naturalisme, sur Baudelaire, etc.), Clarín s'attachait moins à définir les mérites et les défauts d'une œuvre qu'à examiner les rapports entre un auteur, une doctrine ou une idée et son propre système de valeurs.

Certains ont cru voir cependant se dessiner ici ou là dans ses écrits une éthique sociale assez proche des « idées de 98 ». Clarín n'était-il pas, du reste, un ami et un admirateur du grand réformateur Giner de Los Ríos ? Il est clair, néanmoins, que s'il concordait avec Giner pour appeler de ses vœux une régénération de l'Espagne, en mettant comme lui l'accent sur la réforme de l'enseignement (telles de ses pages sur l'Université gardent encore une actualité remarquable), Clarín, au fond, rêvait d'un monde où les classes supérieures traditionnelles auraient assumé leur rôle de guide et auraient été dignes d'assumer ce rôle : lui, le lecteur, le critique et l'imitateur de Zola, n'a-t-il pas laissé les nouvelles classes, la population active de Vetusta, les « rebelles », dans l'isolement des nouveaux quartiers, à l'extérieur de la cité ? Ce qu'il souhaitait avec ferveur, c'eût été un renouveau moral sur fond de despotisme éclairé ; et bien des caractères archaïsants de la génération de 98 seraient mieux compris si l'on creusait ses rapports avec Clarín et si l'on s'étonnait, non point de constater que Clarín ait en quelque manière annoncé 1898, mais de découvrir que la génération de 98 ait pu avoir comme « précurseur » Clarín !

— Eutimio MARTÍN

— René PELLEN

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Écrit par

  • : lecteur à la faculté des lettres et sciences humaines de Nice
  • : ancien élève de l'École normale supérieure, docteur d'État, maître assistant à l'université de Poitiers

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Pour citer cet article

Eutimio MARTÍN et René PELLEN. CLARÍN ou LEOPOLDO GARCÍA ALAS Y UREÑA (1852-1901) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

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