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GILLE BERTRAND (1920-1980)

Né à Paris, Bertrand Gille était le fils d'un polytechnicien, ingénieur du génie maritime, qui s'est lui-même intéressé à l'histoire des techniques, mais à peu près uniquement dans le domaine de la construction navale. Après des études secondaires à Janson-de-Sailly et à Louis-le-Grand, il prépare et passe une licence d'histoire à la Sorbonne, tout en suivant des cours à la faculté de droit. Il entre ensuite à l'École des chartes. Archiviste paléographe, il est conservateur aux Archives nationales en 1943-1944, puis de 1950 à 1958. Il passe en 1957 sa thèse de doctorat ès lettres, publiée la même année : La Banque et le crédit en France de 1815 à 1848. Il est alors nommé professeur d'histoire à la faculté des lettres de Clermont-Ferrand. Il le demeurera jusqu'à sa mort. Il était, depuis 1971, directeur d'études à l'École pratique des hautes études, dans le domaine de l'histoire des techniques. Il y avait été chargé de conférences de 1947 à 1950, et à partir de 1968. Il était membre du comité des travaux historiques et membre correspondant de l'Académie internationale d'histoire des sciences.

Son œuvre d'historien de l'économie a pour base un travail d'archives. Il a eu, à cet égard, le grand mérite de créer aux Archives nationales, dont le directeur était alors Charles Braibant, la section des Archives économiques et privées, qu'il contribua beaucoup à enrichir, notamment par le dépôt d'archives d'entreprises et de banques.

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On lui doit dans ce domaine de nombreux textes, inventaires, recueils, articles, et, outre sa thèse déjà mentionnée, deux ouvrages de fond, La Formation de la grande entreprise capitaliste, 1815-1848 (1959) et Histoire des Rothschild (2 vol., 1965-1967), histoire déjà plusieurs fois retracée avant lui, mais qu'il renouvela, grâce à de nombreuses sources jusque-là inexplorées. On mentionnera aussi l'ouvrage publié en Italie, en français, Les Investissements français en Italie, 1815- 1914 (1968). L'importance et la valeur des travaux de Bertrand Gille dans ce domaine sont unanimement reconnues.

Très tôt cependant, il s'était intéressé à l'histoire des techniques. Sa thèse de l'École des chartes y était déjà en grande partie consacrée, « L'Industrie du fer en France de Colbert à la Révolution » (1943) – publiée en 1947 sous le titre Les Origines de la grande métallurgie en France. Bien plus tard, elle devait trouver son prolongement dans La Sidérurgie française au XIXe siècle (1968).

Bertrand Gille fut aussi le responsable d'une revue, malheureusement éphémère (1945-1956), Techniques et Civilisations, qui publia de nombreux articles originaux sur l'histoire des techniques, écrits par lui-même et par d'autres auteurs. Il écrivit aussi pour la Revue d'histoire de la sidérurgie.

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Mais on lui doit des travaux de plus grande ampleur, en particulier, sa contribution (plus de 300 pages) à l'Histoire générale des techniques, publiée sous la direction de Maurice Daumas, surtout dans les tomes I (1962) et II (1965), portant sur la technique en Occident du ve au xvie siècle. Sa formation de chartiste le mettait particulièrement à même de traiter ce sujet. Dans Les Ingénieurs de la Renaissance, il devait développer cette étude pour le xve siècle. Cet ouvrage ne se veut pas exhaustif, mais il présente le double intérêt non seulement de nous faire connaître un type d'hommes et de techniques dont l'histoire avait été jusque-là assez négligée mais aussi, tout en reconnaissant la supériorité, à de nombreux égards, de Léonard de Vinci sur ses prédécesseurs, de restituer à ceux-ci nombre d'inventions que, par une pratique assez constante quand il s'agit des grands hommes, l'on attribuait alors à Léonard. Bertrand Gille souligne également, mieux qu'on ne l'avait fait auparavant, que la plupart des inventions de ce dernier étaient irréalisables, faute de procédés de fabrication suffisamment élaborés à l'époque.

Un des apports les plus intéressants et les plus riches de conséquences de Gille en ce qui touche les progrès des mécanismes porte sur la naissance, seulement au xve siècle, du système bielle-manivelle qui joua un rôle fondamental dans le progrès des machines. Il faut aussi mentionner l'originalité de ses travaux sur le fonctionnement et l'implantation des moulins à eau au Moyen Âge.

Moins sûr de lui, parce que ce domaine lui était, quant aux sources, moins familier, il nous a cependant apporté dans son dernier ouvrage, Les Mécaniciens grecs (1979), de précieuses analyses et réflexions. Il y montre notamment, en opposition à la thèse de plusieurs hellénistes – Pierre- Maxime Schuhl et Jean-Pierre Vernant notamment –, que l'arrêt du progrès technique dans le monde grec ne doit pas être attribué au maintien de l'esclavage, mais à des raisons purement techniques, essentiellement au fait que les procédés de base étaient demeurés rudimentaires : on ne savait ni réaliser, ni usiner, ni assembler des matériaux suffisamment résistants.

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Par-delà l'histoire proprement dite des techniques, c'est-à-dire la description des créations techniques, Bertrand Gille s'intéressait au destin global de la technique et à ses rapports, principalement, avec la science et avec l'économie. C'est dans cette perspective qu'est conçue l'Histoire des techniques de la Pléiade (1978), dont il rédigea les huit dixièmes. On aurait certes aimé moins de redites, plus d'ordre, plus de rigueur dans l'usage des termes et concepts (la notion de système technique, notamment, est originale et féconde, mais discutable sur plus d'un point, et elle appellerait un certain nombre de nuances et de précisions). Néanmoins, le livre est d'une grande richesse, et il constitue d'une certaine manière – mais en plus bref que l'ouvrage dirigé par Maurice Daumas – une histoire des techniques au sens le plus courant, si l'on en juge par la table des matières, qui permet de constater que la plupart des techniques y sont décrites aux différentes époques, avec, le plus souvent, des détails précis appuyés par de nombreux dessins.

Pour être appréciée à sa juste valeur, l'œuvre de Bertrand Gille dans le domaine de l'histoire des techniques doit être située parmi d'autres travaux, eux aussi de valeur : les uns particuliers, tels ceux de La Roerie sur le navire, d'Haudricourt sur la charrue et de Lefebvre des Noëttes sur l'attelage et le cheval de selle ; les autres plus généraux, de Usher (1929) et d'Uccelli (1943), l'œuvre très ample de Forbes sur la technique dans l'Antiquité (1955-1964), les deux histoires générales des techniques, très développées, l'une anglaise, sous la direction de Singer (5 vol., 1954-1957) et l'autre, sous la direction de Maurice Daumas (5 vol., 1962-1979), auxquelles Bertrand Gille a ailleurs collaboré.

— François RUSSO

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École polytechnique, docteur en droit, conseiller à l'U.N.E.S.C.O.

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