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BERNARD DE CHARTRES (mort apr. 1126)

Autour de l'an 1120, Bernard enseigne à l'école épiscopale de Chartres. Il ne nous reste rien de lui, mais Jean de Salisbury, dans son Metalogicon (C. C. J. Webb éd., II et III, Oxford, 1929) dit qu'il brillait dans l'enseignement de la « grammaire » (c'est-à-dire pour nous la grammaire et les lettres) et était « le plus parfait platonicien de son temps ». Selon Bernard, les genres et les espèces sont des idées, soustraites à la corruption et au mouvement ; des « formes exemplaires, raisons primordiales de toutes les choses ». Quant à la question centrale du platonisme, celle des rapports entre les idées et les choses sensibles, Bernard la saisit à travers un modèle grammatical : celui de la dérivation, à partir du nom, du verbe et de l'adjectif (selon la terminologie moderne) ; c'est ainsi que « blancheur » (albedo) signifie la qualité pure ; « blanchoie » (albet), la même qualité, mais participée par un sujet ; « blanc » (album), cette qualité « infuse et mêlée à une substance » ; une analyse technique précise de ces trois significations rend très habilement compte de cette triple situation ontologique. C'est donc un véritable « platonisme grammatical » qui s'exprime ici, grammaire et philosophie se symbolisant l'une l'autre. Les deux séries homologues de relations prennent aussi la forme, plus séduisante pour l'imagination, d'une petite histoire amoureuse : « blancheur signifie une fille vierge ; blanchoie, la même qui entre dans une chambre ou est étendue sur un lit ; blanc, la même, mais déflorée ». Cet art de l'image, on le retrouve dans une phrase de Bernard souvent citée, relative aux rapports entre Anciens et Modernes, et qu'on peut d'ailleurs interpréter de façons diverses : « Nous sommes des nains juchés sur les épaules de géants ; nous voyons plus qu'eux, et plus loin ; non que notre regard soit perçant, ni élevée notre taille, mais nous sommes élevés, exhaussés, par leur stature gigantesque » (cf. E. Jeauneau, Lectio Philosophorum. Recherches sur l'école de Chartres, Amsterdam, 1973, 51-73).

À travers ces quelques bribes, on aperçoit en Bernard une figure attachante, un esprit certainement peu commun ; et l'on regrette de ne rien connaître de plus à son sujet.

— Jean JOLIVET

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Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section, sciences religieuses)

Classification

Pour citer cet article

Jean JOLIVET. BERNARD DE CHARTRES (mort apr. 1126) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • SÉMIOLOGIE

    • Écrit par Julia KRISTEVA
    • 5 442 mots
    • 1 média
    ...sur le fond de la théorie des modi significandi. Deux doctrines ici se succèdent : dans la première moitié du xiie siècle, celle des nominales de Bernard de Chartres, qui suppose l'immuabilité de l'unité signifiante malgré ses consignifications, et celle de l'intelligence, qui s'appuie...

Voir aussi