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AUTOCONTRAINTE

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Réagencements du modèle d’analyse

Critiqué comme évolutionniste et téléologique, le modèle a été précisé et affiné à l’occasion des réceptions différées successives du grand œuvre. Ces ajustements, qui permettent notamment de penser certaines séquences de relâchement des contrôles des affects comme constitutives du procès, interdisent de réduire celui-ci à un accroissement mécanique constant des autocontraintes. Autre pierre d’achoppement de la conception freudienne des fonctions d’autocontrôle, la détermination d’une instance exclusive de régulation des pulsions de l’individu, son idéal du moi, se trouve contestée, Elias arguant quant à lui de l’existence d’instances de contrôle différenciées. Celles-ci sont relatives aux groupes d’appartenance des individus et à leur idéal du nous respectif, qui détermineraient le degré d’autocontrainte à la fois vis-à-vis des membres du groupe, mais aussi des individus extérieurs à celui-ci. Dans les configurations où les différentiels de pouvoir entre les groupes sociaux sont très importants existent ainsi de fortes disparités dans les modalités de régulation – les membres des groupes établis qui régulent très fortement leurs pulsions et l’expression de leurs affects face à leurs pairs, étant susceptibles au contraire d’abandonner toute retenue avec les individus issus des groupes considérés comme socialement inférieurs. La diminution des écarts de pouvoir entre les groupes qui caractérise selon Elias les stades les plus avancés du procès de civilisation, entraîne à l’inverse une homogénéisation et une généralisation des autocontraintes, qui vont s’exercer désormais de manière à peu près égale dans tout type de relations, dans les sphères publiques comme privées et pour toute pratique sociale. L’incorporation d’un habitus social partagé par l’ensemble des agents et des groupes formant l’entité étudiée, rend alors possible dans les interrelations entre individus des accommodements, des relâchements contrôlés des autocontraintes (controlleddecontrolling of emotions), la mise en œuvre de processus diachroniques d’« informalisation » qui s’articulent au procès de civilisation. Les amendements opérés au schéma éliassien fournissent dès lors à l’analyste un modèle robuste pour penser dans une perspective de temps long et en relation avec les transformations des entités sociopolitiques, les fluctuations et la complexification de l’économie pulsionnelle, évitant tout à la fois les écueils de l’essentialisme et, compte tenu des implications normatives de ces ajustements théoriques, les éventuelles apories d’un relativisme radical.

— Fabien CARRIÉ

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Écrit par

  • : docteur en science politique, chargé de recherche au Fonds de la recherche scientifique de Belgique

Classification

Pour citer cet article

Fabien CARRIÉ. AUTOCONTRAINTE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 24/04/2014

Autres références

  • CIVILISATION PROCESSUS DE

    • Écrit par
    • 1 291 mots
    ...obtenant le monopole de la violence légitime avec le contrôle de l'armée et de la justice. Ce processus entraîne la psychogenèse de l'individu : un travail d'autocontrainte de l'individu qui apprend à refouler ses pulsions, à maîtriser – voire à dissimuler – ses émotions et à anticiper les...
  • MONOPOLISATION PROCESSUS DE

    • Écrit par
    • 972 mots

    Dans son ouvrage Über den Prozess der Zivilisation (Sur le processus de civilisation), paru initialement en 1939, le sociologue d’origine allemande Norbert Elias propose une analyse de la genèse de l’État à deux niveaux, sociogenèse et psychogenèse, mettant en évidence un processus de « conquête...