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MARCH AUSÍA (1397?-1459)

Poète valencien, digne de figurer parmi les plus grands écrivains du xve siècle européen, Ausía March rompt avec une tradition vieille de trois siècles qui voulait qu'au royaume d'Aragon la seule langue admise en poésie fût le provençal, et rédige son œuvre exclusivement en catalan. Véritable créateur de la poésie catalane, traduit en espagnol dès le xvie siècle, sans cesse lu, imité ou plagié, inspirateur hier de Garcilaso de la Vega et aujourd'hui de Blai Bonet, il est considéré comme un poète difficile, obscur, dont la pensée et le style posent d'insolubles énigmes.

Fils de Pere March, lui-même poète et chevalier, Ausía March participe brillamment aux campagnes menées par le souverain, Alphonse le Magnanime, en Méditerranée (1420-1424). Nommé grand fauconnier du roi (1425), il cesse brusquement, pour des raisons inconnues, d'occuper cette fonction (1428). Il se retire sur ses terres de Gandia et mène désormais l'existence d'un riche seigneur féodal, soucieux d'élargir son patrimoine, si jaloux de ses prérogatives qu'il se trouve souvent en litige avec les autorités urbaines. Marié deux fois, il ne laisse aucun héritier légitime, mais son testament fait mention de plusieurs bâtards, issus de diverses amours.

Ausía March ne se consacra à la poésie qu'après son retour à Gandia ; son activité recouvre donc environ trente années. Il est impossible de déterminer la date précise de composition de chacun des cent vingt-huit poèmes qui constituent l'œuvre, aussi la critique envisage-t-elle généralement une chronologie globale qui tient compte de l'ordre des manuscrits et de l'évolution thématique et formelle des textes. Les quatre-vingt-sept premiers poèmes comportent entre cinq et six strophes (cobles), écrites en décasyllabes, et traitent essentiellement de l'amour-passion. Les autres peuvent atteindre jusqu'à 488 vers (poèmes CVI), et le poète y paraît surtout préoccupé par la conduite de sa vie spirituelle et morale. Dès le xvie siècle, les éditeurs ont communément distingué à travers ces deux grandes périodes quatre manifestations lyriques : les Cants d'Amor, les Cants de Mort, les Cants morals et le Cant Espiritual.

Les Cants d'Amor s'adressent à plusieurs femmes que le poète désigne par des Senhals, Plena de Seny, Lir entre Carts, O foll Amor, Amor, Amor, Mon derrer bé. Mais on ne sait s'il s'agit de cycles successifs ou d'un personnage unique qui s'incarne en de multiples allégories. Ausía March reprend plusieurs topiques chers aux troubadours, surtout le conflit entre l'amour pur, quintessencié, et le grossier désir charnel. Mais pour l'écriture il s'écarte résolument de ses sources provençales. Dans les Cants de Mort, Ausía March évoque la disparition de la femme aimée ; il crie son angoisse et son impuissance face à l'agonie, puis le malheur de l'homme condamné malgré lui à la survie. À la différence de Dante qu'il a lu et admiré, il ne parvient pas à imaginer le Paradis où auront lieu les retrouvailles et la transfiguration. Les Cants Morals révèlent la vaste culture d'Ausía March, notamment une connaissance approfondie de la philosophie aristotélicienne, et de la Somme théologique de saint Thomas d'Aquin. Pessimiste et critique à l'égard de son époque, Ausía March laisse percer son amertume de courtisan déçu, sa nostalgie d'un pouvoir supérieur et d'une vie publique brillante auxquels ses talents eussent dû lui donner droit. Le Cant Espiritual (CV) est un texte de 224 vers (28 strophes), où le grand seigneur proclame sa médiocrité, son manque d'Espérance et implore douloureusement l'octroi de la Foi. Exclamations, interjections, images de la paralysie, de la chute, ponctuent ce long appel à Dieu, qui de poème devient prière.

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Pour citer cet article

Marie-Claire ZIMMERMANN. MARCH AUSÍA (1397?-1459) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CATALOGNE

    • Écrit par Mathilde BENSOUSSAN, Christian CAMPS, John COROMINAS, Marcel DURLIAT, Robert FERRAS, Jean MOLAS, Jean-Paul VOLLE
    • 22 274 mots
    • 8 médias
    ...troubadours, tend déjà à italianiser les attitudes et à catalaniser la langue. Andreu Febrer écrit la première traduction au monde de La Divine Comédie. Ausiàs March, dans des vers durs et profonds, nous donne une vision saisissante de l'homme torturé par le doute et l'idée de la mort, il crée une imagerie originale...

Voir aussi