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DROSTE-HÜLSHOFF ANNETTE VON (1797-1848)

Le culte qu'on voue à Annette von Droste-Hülshoff est moins dû peut-être à ses audaces créatrices qu'à la figure exemplaire qu'elle propose à l'interprétation. Elle est d'abord le poète de la Westphalie, où se déroula presque toute sa vie, entre le château de ses ancêtres et sa demeure de Rüschhaus. Cette vie monotone est vouée à la solitude, à la fidélité envers sa caste, au respect de sa famille et de ses traditions. L'amour qu'elle connut tard, à Meersburg, ne put apparaître que sous le masque de l'amitié. Tout, dans cette existence, semble situé sous le signe de la vertu, de la résignation, et contribue à faire d'Annette la représentante idéale des vertus « Biedermeier ». Mais l'on peut détecter sous ce calme apparent des aspects tragiques, un désarroi profond, et aussi une violence contenue dont l'œuvre seule donne parfois la mesure. Annette von Droste devient alors un exemple de femme incomprise, en conflit secret avec son milieu et son temps, et elle offre à l'interprétation psychologique un modèle idéal d'investigation. En fait, elle est une poétesse de son temps, qui en traduit les besoins contradictoires, en accompagne le mouvement. Son œuvre montre qu'elle le comprit avec une remarquable acuité.

Après quelques poèmes conventionnels et une curieuse nouvelle inachevée, Ledwina, où l'introspection débouche sur le macabre, la création d'Annette von Droste commence sous le signe de la sécheresse. Sa première œuvre importante est un recueil de poèmes religieux, l'Année spirituelle. Annette s'y livre à une quête passionnée et douloureuse de la foi. L'intérêt de ces vers, oscillant entre le doute et l'angoisse, est lié à l'originalité de la quête religieuse. Annette von Droste ne peut plus s'accommoder des extases romantiques ni de l'union harmonieuse entre religion et poésie. Comme Kierkegaard un peu plus tard, elle s'installe durablement dans l'aridité du désespoir, seul garant d'une authentique vie religieuse. Ce choix est à l'origine d'une création fort originale. Les longs poèmes qui succèdent à la crise religieuse sont des visions hallucinées, des variations sur le thème de la foi impossible, de la faute inexpiable : ainsi l'étrange Testament du docteur qui annonce le Médecin de campagne de Kafka. La très belle nouvelle, Le Hêtre aux juifs (1842), est une œuvre sobre et frémissante, traversée encore d'un complexe de faute et d'une grande pitié pour la créature. Le style halluciné se conserve dans les Ballades, genre où Annette excelle. Mais déjà elle y joue avec l'épouvante. La meilleure part de son message poétique est contenue dans les poésies de Meersburg où, à travers l'expérience de l'amour, son angoisse se délie. Annette von Droste découvre l'espace lumineux du lac de Constance et en pare ses Tableaux de la lande, qui égalent en qualité les meilleurs poèmes de Lenau, Mörike, Heine. L'angoisse a durci son regard, qui sait explorer toutes les dimensions du monde et de la conscience : poésie dense, aiguë, qui se livre aussi à d'harmonieuses plongées dans le rêve et le souvenir, à travers tous les degrés de « l'espace intérieur du monde ».

Les derniers poèmes, avant que la maladie ne l'emporte, conservent cette richesse de la perception et du rêve, mais ils sont plus graves, plus mélancoliques, et fixent, à travers une série de méditations musicales, les instants heureux comme les instants graves. Annette von Droste est déjà loin du romantisme allemand, et plus proche des symbolistes anglais et de voix toutes récentes. Son œuvre en tout cas est un des meilleurs témoignages de la grande richesse lyrique de son temps.

— Dominique JEHL

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Pour citer cet article

Dominique JEHL. DROSTE-HÜLSHOFF ANNETTE VON (1797-1848) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BIEDERMEIER, littérature

    • Écrit par Véronique KLAUBER
    • 526 mots

    Époque, mode de vie, mais aussi style littéraire et artistique, le Biedermeier coïncide avec la période de 1815-1848, celle du Vormärz et de la Restauration, celle de Junge Deutschland et de la Sainte-Alliance, celle de la paix après les guerres sanglantes et celle du régime répressif de Metternich...

Voir aussi