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ORTESE ANNA MARIA (1914-1998)

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Récits de voyage

Les reportages d'Anna Maria Ortese « couvrent » toute l'Italie, mais, à leur incomparable manière, racontent aussi Londres, Paris, la Russie. Ils peuvent, dans un premier temps, se lire comme un passionnant document sur un pays en plein essor économique, avec ses mythes (l'U.R.S.S.), ses légendes (Fausto Coppi et le Giro d'Italia), ses tensions (Salvatore Giuliano et la pauvreté du Sud). Tout le génie littéraire d'Anna Maria Ortese est, alors qu'elle accepte de se laisser porter par le flux du monde et de « raconter ce qu'elle voit », de retrouver, par d'insensibles déplacements de perspective, une intériorisation progressive de la description, l'univers possédé et souffrant, nocturne au cœur même de la plus vive lumière, qui est le sien. Bien loin de suivre le droit fil d'une enquête sûre de son objet, son parcours se désoriente, quitte peu à peu le centre pour la marge, là où il est encore possible de deviner la « lumière qui est dans l'opacité de la matière » (Giordano Bruno). Anna Maria Ortese échappe ainsi à la fausse objectivité du « vécu », jusqu'à transformer en vision ce qui n'aurait dû être qu'information. Aucune transfiguration hyperbolique, cependant, seulement l'éclipse de la distance qui sépare les deux réalités disjointes entre lesquelles l'écrivain ne cesse de se déplacer. Comme délivré de l'assoupissement dans lequel il était plongé, le monde peut se faire parole à nouveau, la conscience déchirée retrouve sa patrie. Bref instant d'extase qui ne se cristallise que dans les signes les plus modestes (le chat carrollien du « Bateau de Douvres », le jeune jardinier à la chemise azur du « Murmure de Paris »), voire impalpables comme, dans « Le Train russe », l'aimantation des regards et des voix qui laisse entrevoir une humanité réconciliée (l'utopie amoureuse d'Anna Maria Ortese n'est pas fondée sur le désir mais sur la fraternité).

Anna Maria Ortese en a une claire conscience : sa recherche s'enracine dans l'« étroitesse du rien » (De veille et de sommeil). Si bien qu'à considérer l'ensemble de ses écrits de voyage on ne peut qu'être frappé par la manière dont ce qui n'était au début que commande ponctuelle a fini par imposer une logique qui lui est entièrement propre : de Londres à Palerme, de Moscou à Naples ou Gênes, nous suivons le cheminement d'une âme en exil, attentive à rassembler les linéaments d'une réalité consumée, au bord de la disparition.

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Pour citer cet article

Gilles QUINSAT. ORTESE ANNA MARIA (1914-1998) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 25/03/2009

Autres références

  • ITALIE - Langue et littérature

    • Écrit par , , et
    • 28 412 mots
    • 20 médias
    ...L’isola di Arturo (1957), La storia (1974), Aracoeli (1982), produit une écriture où se mêlent à des degrés divers le réalisme et l’imaginaire ; Anna Maria Ortese, dont l’écriture baroque et visionnaire donne vie à des personnages où l’humain se mêle à l’animal, comme en témoignent les romans ...