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CHÉNIER ANDRÉ (1762-1794)

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« Tout peindre »

Tel qu'il est, on ne cesse de revenir à lui, « Phénix sorti vivant des cendres du tombeau ». Ces fragments, dont il devait se désoler, disent son rêve mieux que ne le ferait l'œuvre achevé. C'est la revanche du génie et le triomphe de la poésie. Ce rêve prend sa source en Grèce, pays du marbre, de la lumière, de la pureté, terre de la mythologie, du « langage sonore », paradis de la connaissance, dont le poète garde le lointain souvenir. Il se poursuit dans une fringale de découverte absolue qui pactise avec la matérialité du monde : la poésie, comme l'ambre, a le pouvoir de cristalliser l'objet qu'elle happe au passage : « Mes chants savent tout peindre. » L'union de l'ancien et du nouveau, de la science et de l'histoire, de la mythologie et de la réalité enfante les images caractéristiques où s'exprime l'obsession tenace de l'être aspirant à une plongée dans la nature élémentaire, retour de l'âme « à sa grande origine ». L'énergie vitale se dissout dans le cosmos, soit que le corps s'exténue par sublimation (Néère), soit que sa chute dans l'eau provoque une immersion bienfaisante (Hylas), soit que l'onde le restitue à la terre qui lui fait cortège (La Jeune Tarentine), soit que le feu primitif l'absorbe tout entier en un « plein ciel » admirable où la nuit devient torrent de lumière (Hymne à la nuit). La poésie, élévation du matériel à l'immatériel, naît dans un transport violent et bref, élan spasmodique dont le dernier soupir de Néère et le cri rageur des Iambes restent, sur deux registres bien différents, la plus belle illustration. La mort est au bout du chemin, non pas comme un terme, mais comme la vision reposante et gracieuse d'une métempsycose. Enfin, l'épopée en miettes de Chénier signe la faillite du grand poème et inaugure l'ère du lyrisme fragmentaire. On s'explique que les modernes de toute génération le revendiquent comme leur précurseur : car il enseigne que la poésie engage l'homme tout entier et que, si elle commence par une perception virginale du réel, elle ne trouve son accomplissement que dans le surréel.

— Édouard GUITTON

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Écrit par

  • : professeur de littérature française à l'université de Rennes-II-Haute-Bretagne

Classification

Pour citer cet article

Édouard GUITTON. CHÉNIER ANDRÉ (1762-1794) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • BERTIN ANTOINE DE (1752-1790)

    • Écrit par
    • 524 mots

    Comme Chabanon, Léonard et Parny, comme plus tard Leconte de Lisle, le chevalier de Bertin est né sous les tropiques (à l'île Bourbon). Son œuvre est mince, mais elle mérite de survivre à l'oubli. Transplanté en France dès l'âge de neuf ans, il y mène bientôt la vie facile et dissipée des jeunes...

  • ROMANTISME

    • Écrit par et
    • 22 170 mots
    • 24 médias
    ...de vers, il ne s'est pas levé en France de grand poète comme ce fut le cas dès 1770-1815 en Angleterre et en Allemagne. La seule exception est celle de Chénier, dont l'art ciselé et pur est hardi, et dont la grâce sensuelle a un charme unique, digne de la Renaissance et des Alexandrins, sinon des...
  • CHÉNIER MARIE-JOSEPH (1764-1811)

    • Écrit par
    • 446 mots

    Né à Constantinople deux ans après son frère André, officier de dragons à dix-sept ans, Marie-Joseph de Chénier démissionne assez vite de l'armée pour se consacrer aux Muses. Après quelques pièces sans aucun succès, il remporte un triomphe à la fin de 1789 en faisant jouer un ...

  • MILLEVOYE CHARLES HUBERT (1782-1816)

    • Écrit par
    • 325 mots

    À cheval sur deux siècles, Millevoye est le type du poète de transition : il fait le joint entre le classicisme déclinant et l'aube du romantisme. Sa courte carrière commence en 1800 : à peine quinze ans plus tard, elle est terminée. De santé chétive, avec une mauvaise vue, poitrinaire,...