DWAN ALLAN (1885-1981)
Né à Toronto (Canada), Allan Dwan fait ses études d'ingénieur à l'université de Notre-Dame (Indiana) et y débute au théâtre, en amateur. Diplômé de physique et de mathématiques, il devient représentant d'une firme qui diffuse la lampe à vapeur de mercure, lointaine ancêtre des « néons ». L'un des premiers clients de la firme est le studio Essanay à Chicago : il assiste à des tournages de films, trouve stupides les histoires traitées, et a l'idée de vendre des scénarios de son cru à l'Essanay (1909).
Deux ans plus tard, la firme l'envoie en Californie superviser l'éclairage, le scénario et le choix des acteurs d'un film : il trouve des acteurs, mais le metteur en scène désigné disparaît au cours d'une excursion à Los Angeles. Dwan télégraphie la nouvelle à l'Essanay qui lui répond : « Faites le film. » Il ne lui reste plus qu'à demander aux acteurs comment les diriger...
Entre 1911 et 1913, Dwan semble avoir réalisé au moins deux cent cinquante films relevant des genres les plus divers (westerns, drames, comédies) sans compter la part prise probablement à d'autres films, notamment ceux de Wallace Reid ; besognes anonymes, au cours desquelles il pratique aussi le montage. Sa familiarité avec la technique (alors rudimentaire) explique cette fécondité, qu'il nourrit du reste en envoyant des « espions » surveiller le travail de Griffith dans un autre studio, avec l'espoir de lui dérober quelques secrets. Très vite, les deux hommes deviendront amis. En 1915, Dwan aidera Griffith à résoudre certains problèmes de déplacement de la caméra dans Intolérance en inventant une « dolly » portée sur une auto. À l'avènement du son, il sera de même le premier à expérimenter l'emploi d'un micro lié à une caméra mobile.
Vers la même époque, Allan Dwan avait quitté sa filiale d'Essanay pour Universal. Il rejoint bientôt les Famous Players, puis la Triangle. En 1914, il signe son premier film de long métrage, un Richelieu lointainement démarqué de Dumas père. Son emploi à cette époque est surtout celui de conseiller des vedettes avec lesquelles il entretient des relations amicales (Mary Pickford, plus tard Douglas Fairbanks, pour lequel il dirigera onze films à succès). Ses films sont en général supervisés « paternellement » et de loin par le producteur, Griffith en personne, mais cette division du travail n'a rien d'absolu : Dwan collabore souvent au scénario et s'intéresse de plus en plus à la photographie. En 1922, c'est lui qui réalise la plus coûteuse production de Fairbanks et du cinéma muet américain, Robin des Bois. À partir de 1923, sa renommée est telle que la Paramount lui confie neuf films joués par Gloria Swanson ; certains, comme Zaza et Manhandled, sont parmi les meilleurs de la vedette, mais Dwan ne se contente pas de mettre en valeur les grandes possibilités de l'actrice : la séquence d'ouverture dans le métro de Manhandled, en particulier, révèle sa virtuosité et son sens de l'espace.
Allan Dwan passe sans problème au « parlant » (Le Masque de fer, 1929) et Gloria Swanson fait appel à lui pour What a Widow ! (1930), avant qu'il ne remporte un succès personnel considérable avec While Paris Sleeps (1932).
Il fait alors un voyage en Europe et commet l'« erreur » de s'attarder en Grande-Bretagne où on lui demande de diriger trois films : à cette occasion, il découvre et lance Ida Lupino, âgée d'à peine seize ans (His First Affair, 1935) mais son éloignement de la concurrence hollywoodienne lui vaut à son retour de ne se voir confier par la Fox que des films à petit budget.
Dwan va renouer avec la renommée en dirigeant Suez (1938), coûteuse biographie, très romancée, de Ferdinand de Lesseps, où il ne s'intéresse aux « clous » spectaculaires voulus par Darryl F. Zanuck que dans la mesure où ils exaltent l'idylle de Tyrone Power et d'Annabella. Avec l'aisance d'un vieux routier et « la dignité et la sérénité d'un grand seigneur momentanément désargenté » (comme l'écriront Les Cahiers du cinéma en 1955), le cinéaste réalise des films destinés uniquement à mettre en valeur les Ritz Brothers ou bien Shirley Temple (Heidi, 1937), des comédies musicales (dont Josette, 1938, avec Simone Simon), voire des comédies fantaisistes et « brillantes » (Black Sheep, 1935, dont il apportait le scénario tout écrit, avait annoncé son come-back) ou quelque peu libertines (Up in Mabel's Room, 1944). Il montre toutefois une prédilection pour le mélodrame et surtout pour le western. Bien charpentés et menés à vive allure, Frontier Marshall (1939) et Sur la piste des Vigilants (Trail of the Vigilante, 1940) en sont d'excellents exemples. Au passage, Dwan fait débuter comme vedette Natalie Wood âgée de neuf ans (c'était son troisième film) dans un mélo larmoyant, Driftwood (1947). La fin des années 1940 marque pour lui une période d'hésitation dernière ; mais il va devenir la providence de petites firmes et de producteurs désargentés qui, pourvu qu'il s'en tienne à leurs modestes moyens, laisseront l'« artisan » expert déployer ses qualités d'artiste. Or celles-ci, avec le temps, se sont dégagées de bien des contingences.
La dernière décennie active de Dwan comptera une vingtaine de films, dont un tiers de chefs-d'œuvre : dès Angel in Exile (1948) et Surrender (1950), s'amorce le redressement, sous le signe du romantisme et malgré la médiocrité de certains interprètes. Dans Iwo Jima (1949), Dwan est moins fasciné par le déploiement des forces guerrières que par la solitude inéluctable du héros. Les films suivants donneront libre cours au goût ancien du cinéaste pour l'aventure, même si la parodie affleure ici ou là dans des westerns « féminins » (Montana Belle, 1952 ; La Femme qui faillit être lynchée[The Woman They almost Lynched], 1953) : tendance qui disparaît dans Quatre Étranges Cavaliers (Silver Lode, 1954) au profit d'une dénonciation sans ambages du maccarthysme. Sous le prétexte d'aventures exotiques, Dwan renoue avec la générosité et le goût de la nature d'un Thoreau ou d'un Melville dans Les Rubis du prince Birman (Escape to Burma, 1955) ; Pearl of South Pacific, (1955) ; Enchanted Island (1958). Le culte de la beauté féminine et un mépris croissant pour l'argent corrupteur apparaissent plus encore dans Le mariage est pour demain (Tennessee's Partner, 1955), Le Bord de la rivière (The River's Edge, 1957) et surtout Deux Rouquines dans la bagarre (Slightly Scarlet, 1956), unique incursion de Dwan dans un genre moribond, le « thriller », qu'il transforme en conte de fées un peu pervers. La plupart de ces films doivent beaucoup à l'amitié d'un producteur (B. Bogeaus), d'un acteur (J. Payne) et davantage à la photographie de John Alton, l'un des maîtres d'Hollywood pour la couleur (on se souviendra que Dwan avait expérimenté la couleur dès 1925 avec Stage Struck). Mais la simplicité, la noblesse (ou la gentillesse) des caractères principaux de ces films n'appartiennent qu'à Dwan, et plus encore sa mise en scène, qui résume sans appuyer la solitude d'un homme, par un seul travelling (Silver Lode) et confère la beauté presque à chaque plan de Tennessee et de Slightly Scarlet par sa franchise plastique, son sens de l'impact et l'ampleur d'un regard rendu plus euphorique par un discret humour. Il n'aura guère manqué à Dwan qu'un peu plus de lyrisme et une certaine force pour égaler l'un des plus grands, son ami Raoul Walsh.
Après Enchanted Island (1958), Allan Dwan ne réalise plus que The Most Dangerous Man Alive (réalisé en 1958, mais distribué seulement en 1961), œuvre de science-fiction maladroite, mais non dénuée çà et là de puissance, et où Dwan célèbre à nouveau l'intégrité de l'individu (c'est, sous une forme allégorique, le sujet même du film) et l'amour. Alors que, en 1962 il avait encore plusieurs projets pour la Warner (une comédie musicale et un film sur les Marines), la vente des studios par Jack L. Warner, en 1967, l'oblige à la retraite. Au fil de nombreux entretiens qu'il accorda, il aura vu son œuvre prendre la place éminente qui lui revient sous le « glorieux manteau de poussière » qui, selon ses propres termes, recouvre Hollywood.
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Écrit par
- Gérard LEGRAND : écrivain, philosophe, critique d'art et de cinéma
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