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TENNYSON ALFRED (1809-1892)

Le poète national et son œuvre

Aucun écrivain, aucun poète n'ont tenu dans la vie de leur pays une place aussi importante que celle qui fut faite à Tennyson après 1850. La pairie offerte dès 1873 fut acceptée en 1883. À sa mort, survenue à Aldworth (Surrey) en 1893, sa dépouille devait prendre place à Westminster Abbey, à côté de celle de Chaucer. Sa vaste culture, ses dons lyriques à la fois naturels et travaillés, sa sensibilité parfaitement ajustée à celle de ses contemporains qui aimaient les mélodrames populaires et l'épopée arthurienne firent de lui le poète lauréat idéal. Il haussa les vers de circonstances à la dignité nationale. L'Ode sur la mort du duc de Wellington (Ode on the Death of the Duke of Wellington, 1852), la fameuse Charge de la Brigade légère (The Charge of the Light Brigade, 1854) ont du souffle et leur popularité ne doit pas tout à l'égotisme britannique. En des vers nobles ou délicats il a traduit les émotions collectives de son peuple.

Mais il a su continuer ses propres recherches lyriques et, sous une apparence facile et populaire, ses poèmes permettent de sonder les cœurs ou de juger une société endurcie dans la prospérité matérielle. Maud (1855) et surtout les Idylles du roi (Idylls of the King, 1859-1888) mettent en évidence les deux tendances profondes du poète, qui toujours s'opposèrent : le retrait sur soi, l'attirance morbide du suicide, le rejet du monde pour quelque « palais de l'Art », où seules les joies cérébrales de la passion sensuelle ou de la musique des mots nourrissent l'âme – ou bien la volonté d'agir, de servir les hommes, de les encourager et de les consoler. Comme Ulysse et ses marins, il est attiré par les « mangeurs de lotus » ; il souffre comme le roi Arthur de voir le monde changer totalement. La pente naturelle du poète va vers les rêves amollis et la nostalgie passéiste. Mais dans sa lutte pour triompher de ce penchant, il a trouvé les accents les plus nobles et les plus poignants. Ainsi, les amours contrariées des chevaliers de la Table ronde, où la mort joue avec la passion, sont empreintes de plus de mélancolie que de sage morale. Et le sacrifice d'Enoch Arden (1864) est douloureux dans son humaine décision. In Memoriam surtout, avant l'heure des Darwin et des Huxley, a su dire sans orgueil l'espoir des hommes de dominer un jour le doute et la mort.

Par-delà ces leçons, la beauté des vers de Tennyson assure la pérennité de l'œuvre tout entière. Elle témoigne d'un don unique, mais aussi d'une constante recherche. Telle était la vraie mission du poète : trouver le mot irremplaçable et merveilleux qui rende exactement un son, une odeur, une émotion éprouvée à la fine pointe de l'âme. Ses trouvailles et sa subtile musique enchanteront toujours les amoureux de la langue anglaise.

— Jean-Georges RITZ

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Pour citer cet article

Jean-Georges RITZ. TENNYSON ALFRED (1809-1892) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ, Jacques DARRAS, Jean GATTÉGNO, Vanessa GUIGNERY, Christine JORDIS, Ann LECERCLE, Mario PRAZ
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    ...victoriens n'eurent au-dessus de leurs têtes qu'un curieux plafond, ou quelque délicieuse charmille. Ce fait se vérifie chez les meilleurs poètes de l'époque : Alfred Tennyson (1809-1892) et A. C.  Swinburne (1837-1909). Quant à Robert Browning (1812-1889), son « Dieu est dans le ciel, tout va bien dans le...
  • CYCLE ARTHURIEN DANS LA FANTASY

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