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JARRY ALFRED (1873-1907)

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Un tapis d'amour qui palpite et bouge

<em>Ubu roi</em> d'A. Jarry, mise en scène de Jean-Pierre Vincent - crédits : Raphael Gaillarde/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Ubu roi d'A. Jarry, mise en scène de Jean-Pierre Vincent

Les œuvres de Jarry sont des solutions parallèles du problème de physique que lui posaient, dès les origines, la dévotion à la Vierge et l'appétit martial du record. Dans Les Minutes de sable mémorial (1894), livre d'apparence composite, l'évidente unité de moments évoqués en des formes très diverses vient de l'éclairage sinistre que jette sur tout spectacle la naissance des mondes quand l'auteur la reproduit en lui sous le regard intérieur. Tout le cycle d'Ubu, qui se développe ensuite à travers César Antéchrist (1895), Ubu roi (1896), Ubu enchaîné (1899), Ubu cocu, et jusqu'en des textes où la verve humoristique rejoint le burlesque médiéval, procède de cette étonnante genèse au terme de laquelle, après avoir mitigé son délire de domination, Jarry se retrouve, non plus Dieu, ni Père Ubu, mais fils de Dieu, voué à « La Passion comme course de côte ».

D'abord, dans Les Jours et les Nuits, le règne de Jarry s'affermit avec celui du héros : Sengle, le solitaire au miroir, accorde à son double visible la splendeur parfaite requise en toute création. L'image de soi est seule digne d'amour, image accompagnée de tout le spectacle du monde, car l'œil n'est qu'un miroir perfectionné. Le dieu réussira-t-il à dominer son double, ses créatures ? Dans un décor de caserne, Les Jours et les Nuits démontrent la nécessité morale de déserter, d'anéantir le monde et les dieux par mise à mort du double. Jarry conclut qu'il n'y a pas d'« objet aimé », ni même aimable, pas d'amour possible pour le miroir, ni pour le monde. Sodome est livrée aux flammes. Un excès de puissance dans le Créateur frappe d'indignité les créatures.

À ce roman prométhéen où la singularité est portée à son terme logique qui est Dieu face au vide universel, tous les mondes se trouvant abolis devant une subjectivité que noblesse oblige, fait suite L'Amour absolu (1899), « roman » d'effusions, de retours aux plaisirs de l'enfance et aux merveilleux incestes. La mythologie chrétienne est encore mise à contribution. Emmanuel Dieu est le père, le fils et l'amant de la Vierge Myriam, entre les dunes de Bretagne, propices aux jolis rendez-vous, et l'étoile de la prison de la Santé qui résume dans sa configuration architecturale et dans son nom la destinée de Jarry et le terme de son chemin de croix humoristique.

Les deux œuvres suivantes se nourrissent audacieusement du lait des Vierges retrouvées avec bonheur au sortir des désolantes prisons de la pensée. La violence qui vient de s'annuler se mue en volonté de record exemplaire ; en effet, en Messaline (1901), c'est à la femme qu'est transféré l'appétit viril d'excellence. « Nous n'aimons pas les femmes du tout, mais si jamais nous en aimions une, nous la voudrions notre égale, ce qui ne serait pas rien », déclarait Jarry. La femme, amante ou aimée, fait son apparition dès qu'elle atteint à la position centrale où résidait Sengle, dès que le monde du miroir retrouve dans le couple un équilibre dynamique. Le Surmâle (1902) est l'histoire pathétique de cette lutte à armes égales et différentes qui assortit André Marcueil et Ellen et s'achève dans une mort qui vaut apothéose. La Dragonne, que Jarry laissa inachevée, renchérit sur le même thème, mais une dragonne nommée Jeanne est l'ornement obligatoire de toute épée et, d'ailleurs, Jarry sent sa fin prochaine.

Un traité de méthodologie, Faustroll (1911), est venu pour donner une fausse clé de tout ce système. La pataphysique est drôlerie apparente, pour être en vérité loi d'amour et « science des solutions imaginaires », les seules, après tout, que l'anthropologie soupçonne. « Destin n'est qu'un mot et les cieux sont vides, dit Hélène de Troie[...]

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Pour citer cet article

Vincent BOUNOURE. JARRY ALFRED (1873-1907) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

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<em>Ubu roi</em> d'A. Jarry, mise en scène de Jean-Pierre Vincent - crédits : Raphael Gaillarde/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Ubu roi d'A. Jarry, mise en scène de Jean-Pierre Vincent

Autres références

  • UBU ROI (A. Jarry) - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 930 mots

    Ubu roi est une pièce de théâtre d’Alfred Jarry créée en 1896. Le personnage d'Ubu a pour origine un professeur de physique du lycée de Rennes, Félix Hébert, auquel ses élèves consacrent une littérature de potache. L'un d'entre eux, Charles Morin, écrit en 1885 Les Polonais...

  • UBU ROI (mise en scène B. Sobel)

    • Écrit par
    • 926 mots

    C'était un temps, il est vrai – on l'appela la Belle Époque –, où à Paris on se battait pour le théâtre. Au cours de la représentation, on criait très fort au scandale, et on défendait tout aussi âprement la pièce. L'accueil réservé à Ubu roifut de la sorte quand,...

  • COMÉDIE

    • Écrit par
    • 5 412 mots
    • 1 média
    ...théâtre traditionnel par une subversion beaucoup plus radicale, et c'est également dans les dernières années du xixe siècle que ce mouvement commence avec Jarry : dans Ubu, sous la poussée d'un burlesque violent, les idées reçues volent en éclats ; le personnage s'efface devant la marionnette, l'action intelligible...
  • LAUTRÉAMONT ISIDORE DUCASSE dit COMTE DE (1846-1870)

    • Écrit par
    • 3 187 mots
    ...loué certains épisodes. Remy de Gourmont a mesuré l'incohérence de cet « esprit malade » où il pressentait aussi un « ironiste supérieur ». Dès 1893, Jarry et Léon-Paul Fargue se donnent comme des sectateurs du Montévidéen. Jarry, surtout, dans sa pièce Haldernablou, recueillie dans son premier livre...
  • PATAPHYSIQUE

    • Écrit par
    • 1 833 mots

    Science des exceptions ; science des solutions imaginaires. Deux notions fondent la 'pataphysique : celle des équivalences, et le clinamen ou légère déclinaison des atomes dans leur chute. Elle s'ébauche au lycée de Rennes dans la classe de physique du professeur Hébert entre 1885 et 1888. ...

  • ROUSSEAU HENRI (1844-1910)

    • Écrit par
    • 1 742 mots
    • 8 médias
    C'est sans doute ce côté bizarre de sa peinture qui a provoqué l'intérêt d'Alfred Jarry. On situe leur rencontre en 1893, l'année où Rousseau a pris sa retraite. Originaires de Laval l'un et l'autre, ils se lient d'amitié malgré la différence d'âge. Jarry fait connaître la peinture de Rousseau dans...