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CORNEAU ALAIN (1943-2010)

Né en 1943 à Meung-sur-Loire (Loiret), diplômé de l'I.D.H.E.C. en montage et réalisation, cinéphile amateur de cinéma américain et habitué de la Cinémathèque, Alain Corneau prépare aux États-Unis un documentaire sur le jazz, dont il est passionné. Mais il ne peut le mener à bien et devient assistant de Costa-Gavras, Marcel Camus, Michel Drach, José Giovanni ou Roger Corman. Original thriller politique, son premier long-métrage France, société anonyme (1973) retient l'attention mais ne convainc ni la critique ni le public. Corneau va s'imposer alors au box-office comme le maître du policier en dix ans et cinq films. Trois d'entre eux seront réalisés avec Yves Montand, qui incarne d'abord « un flic » pris à son propre piège (Police Python 357, 1976), puis un homme prisonnier d'un diabolique engrenage (La Menace, 1977), et enfin un ancien truand (Le Choix des armes, 1981) poussé à reprendre du service par la violence aveugle d'un voyou sans scrupules (Gérard Depardieu). Le script met en évidence le passage des règles classiques du « milieu » à la criminalité sanglante des nouvelles générations. Les scénarios des trois films sont méticuleusement agencés et spectaculairement mis en scène avec un sens de l'espace d'une grande beauté.

Alain Corneau - crédits : Coll. Tout le cinéma/ D.R.

Alain Corneau

Adapté par Georges Perec d'un polar de Jim Thompson transposé dans une banlieue sordide, Série noire (1979) brosse le portrait d'un médiocre victime de la fatalité (Patrick Dewaere) qui, d'escroqueries en crimes crapuleux, veut sauver la jeune prostituée (Marie Trintignant) qui s'accroche à lui. Mais le couple ne saurait échapper au cloaque peuplé de miséreux et de crapules que Corneau filme avec lyrisme et cruauté. Le Môme (1986) enregistre quant à lui de manière plus souple, sur des rythmes de blues, les dérives nocturnes d'un jeune policier anticonformiste et d'une prostituée métisse. Là encore, tout finira mal. Dans tous ces films, des stars admirablement dirigées (mentionnons également Simone Signoret, Michel Bouquet, Richard Anconina, Carole Laure...), la splendeur des images (signées Étienne Becker ou Pierre William Glenn), des récits montés comme des mécaniques de précision, ne masquent pas pour autant la dimension humaine des personnages, une psychologie fouillée et un constat social parfois accablant. En 1984, une super-production qui n'est pas de son initiative, montre que le cinéaste possède aussi la science du décor et du romanesque. Dans cette chronique du destin de Charles Saganne (Gérard Depardieu), fils d'un paysan ariégeois devenu héros des conquêtes militaires africaines, et dont la vie amoureuse connut aussi de nombreux rebondissements, Fort Saganne évite les pièges de l'exotisme (le Sahara), du film à costumes (le film se déroule à la veille de la Première Guerre mondiale) et des clichés liés à l'évocation du colonialisme.

Alors qu'il se trouve au sommet de la reconnaissance professionnelle et commerciale, Alain Corneau décide d'abandonner les films de genre pour un cinéma d'expression fondé sur des adaptations littéraires audacieuses d'auteurs contemporains. Nocturne indien (1989), d'après Antonio Tabucchi, suit un homme en quête de lui-même dans l'atmosphère lourde de Bombay. Le Nouveau Monde (1995), d'après Pascal Quignard, brosse le portrait d'un adolescent séduit par l'univers d'une base américaine dans les années 1950 à Orléans, où le réalisateur a passé lui-même sa jeunesse et où il découvrit le jazz. Également d'après un roman de Quignard, Corneau compose avec Tous les matins du monde (1991) une très belle évocation de la création artistique. À l'ascèse du vieux Sainte-Colombe (Jean-Pierre Marielle), le maître retiré du monde qui joue de la viole de gambe dans sa cabane, répond la rigueur d'un film au récit épuré et à la mise en scène minimaliste, essentiellement composée de plans fixes. Le metteur en scène tient à distance l'esthétique picturale liée à la reconstitution du xviie siècle et traque l'indicible comme la plénitude d'une musique bannissant toute facilité harmonique.

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Stupeur et tremblements (2003) reste littéralement fidèle (avec voix off disant le texte) au roman autobiographique d'Amélie Nothomb relatant de façon tragi-comique l'année passée dans une énorme entreprise de Tōkyō. Sylvie Testud campe de façon saisissante une jeune héroïne humiliée, tout à la fois harcelée et fascinée. Elle est moins crédible en mère larmoyante d'une enfant mutique dans le mélodrame Les Mots bleus (2005). On sent le cinéaste en quête d'une forme nouvelle. Mais, très soucieux de ne pas perdre le contact avec le grand public, il revient régulièrement à des modèles plus attendus : le travail de la brigade des stupéfiants (Le Cousin, 1997), des aventures en Polynésie avec Thierry Lhermite et Patrick Timsit (Le Prince du Pacifique, 2000) ou le remake du Deuxième Souffle de Jean-Pierre Melville, son réalisateur préféré (2007).

Alain Corneau meurt à Paris quelques jours après la sortie de Crime d'amour, son seizième film, un polar opposant pour la conquête du pouvoir dans une grande multinationale deux superbes ambitieuses, interprétées par Kristin Scott Thomas et Ludivine Sagnier. Son chef opérateur Yves Angelo, avec lequel il était passé de façon pionnière en France, à partir de Stupeur et tremblements puis avec Les Mots bleus et Le Deuxième Souffle, au tournage en numérique haute définition, y composait une lumière glaciale servant habilement un récit proche des structures filmiques de Fritz Lang que le cinéaste français avait toujours admirées.

Alain Corneau se sera révélé un brillant metteur en scène capable de raconter ses histoires de façon passionnante et le créateur inspiré de personnages forts mais généralement impuissants à échapper à la fatalité. Il avait publié ses Mémoires en 2007 sous le titre Projection privée.

— René PRÉDAL

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Écrit par

  • : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen

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