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PARETO VILFREDO (1848-1923)

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Actions logiques et actions non logiques

Alors que Pareto a atteint le sommet de sa carrière, une douloureuse contrariété familiale (sa femme l'abandonne) bouleverse sa tranquillité de savant à la vie très réglée et routinière. Il s'efforce de sortir de son abattement en lisant et méditant ses poètes préférés : Vigny et Musset. Désormais, son scepticisme se fondera sur le dogmatisme des sentiments, et la raison, déchue, ne sera plus que la manifestation extérieure et superficielle d'une activité intérieure absolue. Cette ambiguïté conditionnera dès lors son œuvre. À partir de l'année 1902, on constate que Pareto veut toujours traiter les sciences sociales comme des sciences exactes, bien qu'il fasse tout pour démontrer les imperfections de la raison et pour prouver que ce qui pousse les hommes à agir est le sentiment, chose, somme toute, mystérieuse et insaisissable.

Dans le Manuel d'économie politique, paru en 1906, l'objet central est toujours l'homme considéré comme un être abstrait dont l'activité est guidée par l'égoïsme. Les différents éléments du système sont isolés de toute influence possible et étudiés à un moment bien déterminé grâce au calcul analytique. Abstractions tout à fait générales, a-t-on dit, et Pareto lui-même n'en est bientôt plus satisfait. Les beautés d'un système logique parfait ne suffisent plus à son esprit inquiet et intolérant. De cette évolution, un premier témoignage, parfois impitoyable jusqu'à l'irrévérence, est donné par l'opuscule paru en 1911 : Le Mythe vertuiste et la littérature immorale, où Pareto se moque du moralisme et du puritanisme, des sentiments de renoncement et d'ascétisme, qui sont pour lui des manifestations de faiblesse.

En 1916, le monumental Traité de sociologie générale, dont on se bornera ici à relever les point d'intérêt très général, systématise tous ces éléments.

Les formes sociales y sont étudiées en examinant les actions humaines, les états d'esprit auxquels elles correspondent ou la manière dont ils les expriment. Dès lors, on distingue les actions logiques et les actions non logiques : les premières sont celles qui utilisent des moyens appropriés à leur fin et qui relient logiquement les moyens à la fin. Les autres, non logiques, ont une grande importance dans la vie sociale et paraissent logiques à ceux qui les accomplissent ou qui en font la théorie. Si, pour Pareto, plusieurs de ces théories sont un « amas de sottises », il note cependant que des doctrines absurdes peuvent être socialement très utiles, que les différentes classes sociales peuvent et doivent même avoir des doctrines différentes et, ce qui revient au même, comprendre différemment une même doctrine.

Dans les actions non logiques, Pareto trouve une part constante, instinctive, expression de certains sentiments humains, les résidus, et une part variable, qu'il appelle dérivations, et qui représente l'effort, propre à l'homme, de se conformer à la logique. On se laisse convaincre surtout par les sentiments (résidus), tandis que les dérivations cherchent à donner une apparence logique aux actions non logiques en raisonnant à partir des sentiments plus que des vérités logico-expérimentales.

Il étudie les actions non logiques au moyen de concepts clairement définis se rapportant à des phénomènes observables. La science comporte un caractère de recréation, c'est-à-dire de simplification. Il observe donc des aspects de phénomènes déterminés ; ces aspects sont exprimés en concepts rigoureux, puis on établit des relations entre les phénomènes que recouvrent ces concepts, après quoi on tente de recomposer en une unité la réalité complexe. Pareto admet, en conséquence, que la science est toujours connaissance du partiel et qu'elle ne peut jamais être normative.

La science[...]

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Écrit par

  • : professeur ordinaire de sociologie générale à l'université de Lausanne, directeur de l'Institut d'anthropologie et de sociologie

Classification

Pour citer cet article

Giovanni BUSINO. PARETO VILFREDO (1848-1923) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • MANUEL D'ÉCONOMIE POLITIQUE, Vilfredo Pareto - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 058 mots

    Le Manuel d'économie politique est la contribution la plus structurée de Vilfredo Pareto (1848-1923) à la théorie de l'équilibre général. Successeur de Léon Walras à Lausanne jusqu'en 1911, Pareto se concentrera par la suite sur sa réflexion sociologique, dont on trouve déjà des...

  • ACTION RATIONNELLE

    • Écrit par
    • 2 646 mots
    • 1 média
    ...classique, du moins une partie de celle-ci, est très tôt attentive au versant rationnel de l'action humaine. Dans son Traité de sociologie générale (1916), Vilfredo Pareto propose de distinguer deux classes d'actions, les actions logiques et les actions non logiques. Les premières présentent une double caractéristique...
  • CLASSES SOCIALES - Classe dominante

    • Écrit par
    • 2 474 mots
    ...critères sont ou non ordonnés, la hiérarchie sociale comportera un ou plusieurs « sommets » : « l'élite » ou « les élites ». Ainsi Vilfredo Pareto définit d'abord « les élites » comme l'ensemble de ceux qui ont obtenu, dans leur ordre, la note la plus élevée, avant de lui substituer...
  • ÉCONOMIE (Définition et nature) - Objets et méthodes

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    • 6 478 mots
    Pareto, mathématicien de formation, se demanda comment on pouvait lever cette impossibilité : si l' utilité est qualitative, elle n'est pas mesurable. Les utilités non plus ne se comparent pas. Comment alors fonder une science à partir de l'utilité ? Pour ce faire, on distingue l'utilité cardinale, celle...
  • ÉCONOMIE (Histoire de la pensée économique) - Théorie néo-classique

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    • 2 844 mots
    • 2 médias
    ...par une amélioration de la condition de certains au détriment de celle d'autres. Ce travail qui consiste à analyser l'« optimalité de l'équilibre » est mené par un disciple de Walras, l'Italien Vilfredo Pareto (1848-1923), et par le rival à Oxford de Marshall, Francis Ysidro Edgeworth (1845-1926).
  • Afficher les 12 références