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OLYMPISME ET POLITIQUE

Le boycottage sportif est-il une arme ?

Dès avant l'action lancée dans le comté de Mayo (Irlande) par des fermiers de la ligue agraire de Charles Parnell qui déclenchèrent en 1879 un blocus à l'encontre de leur propriétaire, Charles Cunningham Boycott, qui entraîna sa ruine et fit naître le terme, le boycottage fut un rouage de l'action politique et économique. Mais le boycottage des événements sportifs peut-il avoir une quelconque raison d'être et, si oui, peut-on en espérer une réelle efficacité ?

Si le boycottage des Jeux fut particulièrement d'actualité de 1976 à 1984, avec pour toiles de fond l'émancipation de l'Afrique et la guerre froide, et est timidement revenu sur le devant de la scène médiatique à l'occasion des Jeux de Pékin en 2008, il est en fait né... avec les jeux Olympiques, puisqu'une délégation turque refusa de participer à l'édition de 1896 pour cause de différends frontaliers avec la Grèce !

Néanmoins, le premier boycottage d'envergure des Jeux se produisit en 1976. Le C.I.O., malgré la mise en œuvre de l'apartheid en Afrique du Sud en 1948, continua de convier ce pays aux Jeux jusqu'en 1964. Avec les décolonisations, les premiers succès d'Africains noirs – dont la mémorable victoire de l'Éthiopien Abebe Bikila sur le marathon dès 1960 – indiquent que cette lâche position ne pourra plus tenir longtemps. Mais ce n'est qu'en 1970 que l'Afrique du Sud est officiellement exclue du C.I.O. En 1976, donc, de nombreux pays africains exigent l'éviction de la Nouvelle-Zélande, dont les joueurs de rugby effectuent une tournée en Afrique du Sud. Ils essuient une fin de non-recevoir et, contraints par leurs gouvernements, les athlètes de vingt-six pays africains font leurs bagages. Plusieurs vedettes annoncées de cette édition – le Tanzanien Filbert Bayi, l'Ougandais John Akii-Bua, le Tunisien Mohamed Gammoudi – rentrent tristement chez eux. Pour quel résultat concret ? Aucun : l'Afrique du Sud n'infléchira pas sa politique ségrégationniste, les rugbymen britanniques, en 1980, français, en 1981, néo-zélandais – néanmoins contre l'avis de leur gouvernement –, en 1986, se rendront en Afrique du Sud pour affronter les Springboks...

Les États-Unis et nombre de leurs alliés – soixante-deux pays au total – vont boycotter les Jeux de Moscou. La raison officielle avancée par le président Jimmy Carter est l'invasion de l'Afghanistan, en décembre 1979, par les troupes soviétiques. Il en est d'autres, plus obscures. Depuis 1977, dans le combat doctrinal entre les deux superpuissances, la « doctrine Carter » met en avant la carte des droits de l'homme. En outre, le rapprochement sino-américain est l'occasion de tenter d'isoler quelque peu l'Union soviétique. Mais il y a peut-être une autre raison : en 1976, à Montréal, les États-Unis avaient essuyé un camouflet sportif : avec 34 médailles d'or, ils avaient été devancés au classement des nations non seulement par l'Union soviétique (49 médailles d'or), mais aussi par la R.D.A. (40 médailles d'or). Le 13 avril 1980, le Comité olympique américain annonce le boycottage des Jeux de Moscou.

Wladislaw Kozakiewicz - crédits : AFP

Wladislaw Kozakiewicz

Privés de nombre de sportifs de haut niveau, les Jeux vont cette fois se trouver défigurés. L'U.R.S.S. et le bloc de l'Est souhaitaient faire, à l'occasion des Jeux de Moscou, la démonstration de leur puissance, par le biais des succès de leurs sportifs. En l'absence des Américains et de nombre de leurs alliés, cette démonstration fut absolue : 195 médailles pour les Soviétiques, dont 80 en or ; sur 628 médailles attribuées, plus de 500 médailles sont revenues à des représentants du bloc communiste. Mais cette outrageuse domination, par ces chiffres mêmes, tourne en fait au ridicule. Le gouvernement américain a sans doute[...]

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Écrit par

  • : historien du sport, membre de l'Association des écrivains sportifs

Classification

Pour citer cet article

Pierre LAGRUE. OLYMPISME ET POLITIQUE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Jeux Olympiques de Berlin, 1936 - crédits : The Image Bank

Jeux Olympiques de Berlin, 1936

Ouverture des J.O. de Berlin, 1936 - crédits : AKG-images

Ouverture des J.O. de Berlin, 1936

Tommie Smith et John Carlos - crédits : John Dominis/ The LIFE Picture Collection/ Getty Images

Tommie Smith et John Carlos

Autres références

  • BAILLET-LATOUR HENRI DE (1876-1942)

    • Écrit par Pierre LAGRUE
    • 630 mots

    Aristocrate belge, le comte Henri de Baillet-Latour fut président du Comité international olympique (C.I.O.) de 1925 à 1942. À ce poste, il s'évertua à maintenir l'olympisme à flot. Mais cela n'alla pas sans quelques compromis à l'occasion des Jeux de Garmisch-Partenkirchen et de Berlin organisés...

  • BERLIN (JEUX OLYMPIQUES DE) [1936] - Les nazis et l'olympisme

    • Écrit par Pierre LAGRUE
    • 3 142 mots

    « Avec ces Jeux, on a mis entre nos mains un instrument de propagande inestimable », peut-on lire dans la presse officielle nazie en 1935. « Nous allons nous mesurer aux nations de la terre et leur montrer quelles forces l'idée de la communauté nationale est à elle seule capable de mettre en...

  • BRUNDAGE AVERY (1887-1975)

    • Écrit par Universalis
    • 687 mots

    L'Américain Avery Brundage fut président du Comité international olympique (C.I.O.) de 1952 à 1972. À ce poste, il fit preuve d'une autorité et d'une intransigeance absolues, ce qui fit de lui un personnage controversé. Contre vents et marées, il voulut maintenir dans toute sa pureté l'idéal olympique...

  • CIO (Comité international olympique)

    • Écrit par Pierre LAGRUE
    • 10 359 mots
    Par ailleurs, il renforce le dogme olympique selon lequel on ne mélange pas sport et politique, une position marquée par plusieurs vilenies. En 1956, la répression de l'insurrection hongroise par l'Armée rouge ne provoque aucune réaction de la part du C.I.O. Par ailleurs, Brundage fait tout...
  • Afficher les 19 références

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