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NILOTIQUES

La société sans État des Nuer

Au sud du pays shilluk s'étend le territoire occupé par les Nuer dont le nombre, en 1954, était estimé à 350 000. Grâce aux travaux d'E. E. Evans-Pritchard, la société nuer est bien connue. Leurs villages sont construits sur des élévations qui ne sont pas submergées par les inondations lors des crues saisonnières. Cultivateurs de mil – consommé sous forme de porridge et de bière –, les Nuer sont avant tout des pasteurs. Le bétail est la valeur sociale fondamentale, ainsi qu'en témoigne la richesse du vocabulaire de l'éleveur : vingt-sept termes sont consacrés à distinguer les différentes robes de leurs bêtes.

Ce précieux bétail était protégé contre la rapine des étrangers et le vol des voisins sans qu'il existât un réseau de relations politiques, c'est-à-dire sanctionné par la coercition.

Les groupes fondés sur la parenté étaient primordiaux dans la défense de l'individu ; cependant ils n'étaient pas figés : selon la situation, le Nuer faisait appel à la tribu à laquelle il appartenait ou à une section de cette tribu, où à son village, ou à son enclos de résidence. Il s'agissait toujours des « siens », mais ceux-ci étaient définis différemment selon le conflit dans lequel il était engagé. Si celui qui avait infligé un dommage appartenait à un autre village de la même section de tribu que sa victime, seul le village de celle-ci prenait fait et cause pour elle ; mais si l'agresseur était d'une autre tribu, c'est toute la tribu de la victime qui était impliquée dans le conflit. Ainsi deux individus pouvaient être en même temps alliés dans un conflit et adversaires dans un autre ; ce qui diminuait l'effet négatif des vengeances privées sur l'unité de la société globale nuer.

En l'absence d'une autorité politique pouvant imposer par la force sa solution aux conflits privés, l'appui « des siens » était essentiel : il s'exprimait par les premiers actes de représailles ou par la volonté clairement établie de recourir à la vengeance. Intervenait alors un personnage respecté et doué du pouvoir rituel de la malédiction : le prêtre-à-la-peau-de-léopard. Ce médiateur faisait pression sur les parties pour qu'elles négocient le montant d'une compensation à payer à l'individu lésé. Cette opération était facilitée par un tarif des compensations coutumièrement admis. Ainsi la compensation due au groupe d'un homme tué par une lance de combat était plus élevée que si une autre arme avait été employée ; la lance supposait en effet préméditation. L'adultère exigeait le paiement d'une compensation au mari sauf s'il était impuissant ; la stérilité de la femme et sa propension aux rapports illicites étaient des circonstances dont on tenait compte dans l'établissement de la compensation. Lorsqu'on s'était mis d'accord, le paiement avait lieu, généralement en bétail, et le prêtre-à-la-peau-de-léopard accomplissait un sacrifice marquant la paix retrouvée. Sans le réseau politique de la contrainte, les Nuer avaient élaboré des mécanismes efficaces de résolution des conflits internes.

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Californie à Los Angeles

Classification

Pour citer cet article

Jacques MAQUET. NILOTIQUES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANTHROPOLOGIE RÉFLEXIVE

    • Écrit par Olivier LESERVOISIER
    • 3 448 mots
    ...aussi différents que l’âge, le sexe, le statut social et (ou) le phénotype. Les remarques de E. E. Evans-Pritchard sur ses expériences vécues dans les sociétés nilotiques sont sur ce point révélatrices de la manière dont l'ethnologue peut être situé différemment selon ses interlocuteurs : « Les Azandé...
  • DINKA

    • Écrit par Universalis
    • 459 mots

    Dans la province du Bahr el-Ghazal (Soudan du Sud), entre Wau et Malakal, dans le bassin central du Nil, vivent, au début du xxie siècle, environ 2 millions de Dinka, étroitement apparentés à leurs voisins du Nord-Est, les Nuer. Ils sont divisés en un très grand nombre de tribus dont les principales...

  • KARAMOJONG

    • Écrit par Roger MEUNIER
    • 480 mots

    Le terme de Karamojong désigne à la fois un groupe de populations nilotiques et l'une des ethnies de ce groupe, les Karamojong proprement dits. Apparentées linguistiquement, ces populations sont localisées au nord-ouest du Kenya et dans les régions adjacentes de l'Ouganda ; outre les Karamojong,...

  • KENYA

    • Écrit par Bernard CALAS, Universalis, Denis Constant MARTIN, Marie-Christine MARTIN, Hervé MAUPEU
    • 13 794 mots
    • 13 médias
    – les locuteurs nilotiques des plaines (Jie, Turkana, Samburu, Massaï), des hautes terres (Pokot, Elgoyo, Marakwet, Nandi, Kipsigis) et des rivières (Luo) ;
  • Afficher les 9 références

Voir aussi