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ROTHKO MARK (1903-1970)

Projets d'ensemble

Comme Matisse, dont il poursuit l'esthétique du décoratif – même s'il a rejeté à plusieurs reprises ce terme, il a lui-même rappelé à quel point l'observation de l'Atelier rouge de 1911, entré dans les collections du Museum of Modern Art de New York en 1949, avait été importante pour lui –, Rothko n'aura de cesse, à partir des années 1950, de trouver des occasions de réaliser des ensembles visibles dans des lieux particuliers, à l'écart. S'il avait pu croire un moment à la solidarité de groupe, participant aux principales expositions collectives qui définissent l'expressionnisme abstrait et posant pour la fameuse photographie des Irascibles en 1951, s'il a pu penser sporadiquement que sa conception de l'art pouvait se diffuser par la pédagogie (son enseignement des étés 1947 et 1949 à San Francisco a une influence immédiate sur plusieurs jeunes artistes de la côte ouest, comme Sam Francis), il prend désormais une voie plus solitaire. Il avait écrit en 1947 qu'« un tableau vit de ses compagnonnages » : il va tout faire pour que ces derniers soient limités à ses propres créations, à leur relation avec une architecture neutralisée et aux échanges avec des spectateurs qui pénètrent dans ces ensembles clos sur eux-mêmes. Il refuse la plupart du temps les expositions collectives, préférant les expositions personnelles parce que, comme il l'explique à l'occasion de sa première rétrospective, à l'Art Institute de Chicago, en 1954, « en saturant la salle avec la sensibilité des œuvres, on fait capituler les murs ». Ce qu'il confirmera lorsque des musées accepteront de rassembler ses tableaux dans une seule salle, ainsi que la Phillips Collection de Washington le fait à partir de 1960. Il n'envisage cependant son premier « projet d'ensemble » permanent que lorsque lui est proposée la décoration d'une salle de restaurant pour l'immeuble Seagram de New York. Il y travaille de 1958 à 1959, avant d'abandonner, parce qu'il en trouve finalement la destination trop mondaine. Ce projet le conduit à expérimenter de nouvelles compositions, semblables à des fenêtres intérieures en deux tons proches, qui invitent à la projection mentale et physique des spectateurs. Les mêmes principes formels seront d'ailleurs repris pour son deuxième projet décoratif, quant à lui réalisé, pour une salle à manger de l'université Harvard, à Cambridge (1962-1963). Ils seront pratiquement inversés pour sa réalisation d'ensemble la plus significative, celle de la chapelle de Houston, commandée par John et Dominique de Menil en 1964 et achevée en 1967. Les tableaux y adoptent de nouvelles compositions, toutes dans des violet-brun particulièrement sombres, niant l'image pour mieux insister sur ce que l'artiste appelle « l'ambiance » : soit des monochromes au sens strict du terme [certains tableaux antérieurs flirtaient avec la monochromie mais sans s'y réduire exactement, comme Sans titre (bleu, vert, marron), 1952 Fondation Pinault], soit une seule forme rectangulaire au bord net sur un fond d'un ton à peine différent.

La décoration selon Rothko est paradoxale, dans la mesure où les couleurs qu'il choisit sont particulièrement sourdes, peu accueillantes selon les critères conventionnels. Il serait faux cependant de penser que les couleurs vives qu'il a pu employer précédemment aient jamais eu pour lui des connotations de gaieté ou de légèreté. S'il a lui-même insisté sur le fait qu'à partir de 1957 sa palette s'est assombrie, c'est moins ce changement qui frappe que le fait que les tableaux de cette période font moins usage des transparences et des glacis pour concentrer leurs effets. Ils se présentent comme la superposition de deux ou trois rectangles clairement séparés, sur un fond très large et sans modulations[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art, École normale supérieure de Lyon, directeur de l'Institut national d'histoire de l'art, Paris

Classification

Pour citer cet article

Éric de CHASSEY. ROTHKO MARK (1903-1970) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • MARK ROTHKO (exposition)

    • Écrit par Hervé VANEL
    • 787 mots

    « C'est notre fonction en tant qu'artiste de faire voir le monde au spectateur de notre façon – pas de la sienne », écrivait Mark Rothko en 1943, affirmant que la portée de son art reposait sur une force de persuasion brutale. Cette capacité de l'art à convertir le spectateur dépend...

  • ABSTRAIT ART

    • Écrit par Denys RIOUT
    • 6 716 mots
    • 2 médias
    Aux États-Unis, l' expressionnisme abstrait apporte également sa contribution au problème du sens de l'œuvre d'art. Mark Rothko et Adolf Gottlieb affirment dans une lettre ouverte adressée en 1943 au New York Times : « Une idée largement répandue chez les peintres consiste à croire que ce que...
  • BEYELER FONDATION

    • Écrit par Daniel HARTMANN
    • 1 138 mots

    Située à Riehen, commune limitrophe de Bâle, dans le parc du Berower, la Fondation Beyeler frappe par sa simplicité et son harmonie. Le long bâtiment rectangulaire aux façades de porphyre rouge de Patagonie conçu par l'architecte italien Renzo Piano s'inscrit tout naturellement dans...

  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - Les arts plastiques

    • Écrit par François BRUNET, Éric de CHASSEY, Universalis, Erik VERHAGEN
    • 13 464 mots
    • 22 médias
    ... (Syrian Bull, Allen Memorial Art Museum, Ohio) et Le Viol de Perséphone (The Rape of Persephone, Allen Memorial Art Museum, Ohio), respectivement de Rothko et de Gottlieb, donne à ces deux artistes l'occasion d'exposer publiquement leur esthétique dans une lettre ouverte en cinq points au ...
  • NEW YORK ÉCOLE DE

    • Écrit par Maïten BOUISSET
    • 1 578 mots
    • 1 média
    ...intérêt est partout identique ». Pour les uns comme pour les autres, la surface peinte dépasse de beaucoup le chevalet et tend vers le « champ pictural ». Rothko peut ajouter : « Je peins des grandes toiles parce que je veux créer un état d'intimité avec le spectateur. Une grande peinture implique des échanges...

Voir aussi