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MACHADO DE ASSIS JOAQUIM MARIA (1839-1908)

Un roman nouveau

Échappant à toute mode littéraire et même aux normes du genre, les derniers romans de Machado ne vieillissent pas. Sa vocation de poète et de dramaturge manqué y trouve son épanouissement.

L'auteur et ses masques

C'est d'abord par l'intermédiaire de Brás Cubas, ensuite de Dom Casmurro et de Aires que Machado établit son dialogue intime et corrosif avec la vie et la mort, avec lui-même et avec le public. Il s'agit de biographies de personnages-auteurs : Machado présente Cubas comme « l'auteur » des Mémoires ; Aires avait déjà signé des chroniques avant de nous livrer son journal intime. Machado les a créés autonomes. Ne le cherchons en aucun des trois : il n'y sera nulle part, car il y est partout.

De même que Brás Cubas déjà décédé, Dom Casmurro et Aires, encore en vie, se placent dans une perspective d'outre-tombe : ils font un bilan dramatisé, une sorte de mise en scène posthume de leurs souvenirs. De loin, ils se voient eux-mêmes et voient les autres dans l'intermède de la vie : des pantins ridicules et absurdes. De là leur supériorité. En se souvenant de Pascal, Machado disait que les hommes n'étaient supérieurs aux animaux que parce qu'ils savaient qu'ils devaient mourir.

Comme un manipulateur de marionnettes, l'auteur couvre toutes les voix avec la sienne, en passant sans transition de ses propos à ceux de ses personnages. Et ce n'est qu'après avoir sciemment confondu son public qu'il cligne de l'œil : « Ce n'est pas moi qui parle, c'est lui. » Ce jeu atteint le comble de l'ambiguïté lorsque l'auteur s'adresse au public après une réflexion qui semblait venir du personnage : « Mais non, il n'a rien dit, c'est vous qui avez parlé. »

Les ficelles de la fiction

Une autre caractéristique de ce style astucieux (malgré son apparente simplicité), à la fois théâtral et monotone, magnifique de bouffonnerie, de fausses entrées, de pirouettes (malgré son apparente gravité), est celle d'attirer l'attention du lecteur sur les ficelles de la fiction : l'auteur rend son public témoin de ses hésitations (« Je supprimerai peut-être le chapitre antérieur »), de ses reculs (il s'arrête parfois au milieu d'une phrase en laissant le lecteur sur sa faim : « Non, je ne raconterai pas cela dans cette page »), de ses condescendances (après s'être exprimé dans un style tarabiscoté, au goût de l'époque, l'auteur s'explique : « C'est ridicule, en effet ; c'était pour vous faire plaisir, c'est ainsi que vous parlez. »)

Calderón cynique, Pascal désabusé, Garrett métaphysique, Machado est, en plus, un vrai créateur, donc profondément original, donc toujours moderne. Ses romans mettent le genre en cause : ce n'est pas le « nouveau roman », certes, c'est un roman qui est toujours nouveau.

— Maria Teresa RITA LOPES

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Écrit par

  • : licenciée es lettres, letrice de portugais à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

Classification

Pour citer cet article

Maria Teresa RITA LOPES. MACHADO DE ASSIS JOAQUIM MARIA (1839-1908) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BRÉSIL - La littérature

    • Écrit par Mario CARELLI, Ronny A. LAWTON, Michel RIAUDEL, Pierre RIVAS
    • 12 169 mots
    ...dépasser l'opposition constitutive de cette littérature entre localisme et cosmopolisme, internationalisant cette littérature à partir de sa différence même. Mais cette poussée universaliste est déjà au cœur de la réflexion de Machado de Assis (1839-1908), le plus grand écrivain brésilien, qui oppose aux décrets...
  • MÉMOIRES POSTHUMES DE BRÁS CUBAS, Joaquim Maria Machado de Assis - Fiche de lecture

    • Écrit par Rita OLIVIERI-GODET
    • 963 mots

    Mémoires posthumes de Brás Cubas a tout d'abord été publié, en 1880, dans la revue Revista Brasileira avant d'être réédité sous forme de livre en 1881. La critique considère cette œuvre comme étant à la fois le premier grand roman de Machado de Assis (1839-1908) et de la littérature brésilienne....

Voir aussi