GOULAG
Apogée et crise du Goulag
Comme le confirment les archives du Goulag, désormais accessibles, c'est au début des années 1950 que le nombre de zeks (détenus) atteignit son maximum : entre 2 500 000 et 2 750 000 personnes. Ce vif accroissement après la décrue du nombre de détenus durant la guerre (1 930 000 en janvier 1941, 1 200 000 en janvier 1945), au cours de laquelle de nombreux détenus condamnés à des peines légères furent libérés et versés dans l'Armée rouge, s'explique par l'arrivée au Goulag de nombreux contingents nouveaux dès 1945 : prisonniers de guerre soviétiques, « collaborateurs » réels et supposés, « nationalistes » et « éléments socialement étrangers » des pays récemment soviétisés (Baltes, Ukrainiens occidentaux). Les « politiques » arrivés au Goulag depuis 1945 représentaient des catégories indéniablement plus déterminées que les « ennemis du peuple » des années 1930, ces anciens cadres du Parti longtemps convaincus que leur internement était le fruit de quelque terrible méprise. Condamnés à des peines de vingt à vingt-cinq ans, les « politiques » d'après 1945 n'avaient plus rien à perdre. Aussi vit-on se multiplier les « infractions à la discipline » qui débouchaient, le plus souvent, sur des refus collectifs de travail, pouvant aller jusqu'à l'émeute.
En 1948, le gouvernement décida d'isoler dans des camps « à régime spécial », très dur, les nouvelles catégories de détenus politiques. Cette mesure s'avéra être, pour l'administration pénitentiaire, un mauvais calcul. Désormais débarrassés des « droits communs », qui, avec la complicité de l'administration, avaient, de tout temps, terrorisé les « politiques », ces « nouveaux détenus » transformèrent certains camps « à régime spécial » en véritables foyers de révolte et de résistance politique. Les années 1948-1954 furent marquées par une trentaine de grèves et d'émeutes, dont les plus connues furent celles de Norilsk (1950), Ekibastouz (1952), Vorkouta (1953), Kenguir (1954).
Au cours de ces années, la situation se dégrada également dans les camps « ordinaires ». Cette dégradation, qui se traduisit par la montée de la criminalité, l'augmentation des incidents entre détenus, la chute de la productivité du travail, était liée à la multiplication des factions et des bandes rivales de « droits communs » auxquelles l'administration des camps avait délégué une partie de ses prérogatives en matière de maintien de l'ordre.
Confrontée à une explosion d'effectifs moins aisément malléables que par le passé, et donc à des problèmes croissants d'encadrement et de surveillance, l'administration du Goulag avait de plus en plus de difficultés à assurer une rentabilité économique. Pour résoudre ce problème, l'administration pouvait soit exploiter la main-d'œuvre pénale au maximum, sans tenir compte des pertes humaines, soit l'utiliser de manière plus rationnelle, en allongeant sa survie. La première formule prédomine jusqu’en 1948. Les détenus sont mal nourris, soumis à une exploitation impitoyable. Les coûts sont faibles, la productivité l'est aussi. La mortalité atteint des taux record, notamment durant la guerre (18,6 p. 100 en 1942, 17 p. 100 en 1943) ou durant les années qui connaissent un afflux massif de détenus (1938, 1945). À la fin des années 1940, la prise de conscience, par le pouvoir, de la pénurie généralisée de main-d'œuvre dans un pays saigné à blanc par la guerre conduit à exploiter les détenus de manière plus « économe ». Pour tenter de stimuler la productivité, des primes et des « salaires » sont introduits, les rations augmentent pour ceux qui parviennent à atteindre les normes fixées. Ce programme se heurte cependant aux réalités du système concentrationnaire : les infrastructures de production datent ; les immenses unités[...]
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Écrit par
- Nicolas WERTH : directeur de recherche au CNRS
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Média
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