Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

BAZILLE FRÉDÉRIC (1841-1870)

Un artiste original entre Courbet et les impressionnistes

Il y a chez Bazille, contraire à toute effusion, une étrange inquiétude de l'espace, et pas seulement de l'espace pictural. Au cours de sa brève carrière, il loue successivement six ateliers à Paris et peint l'intérieur de trois d'entre eux, avec des tableaux identifiables aux murs, comme s'il éprouvait le besoin de s'assurer des lieux où il travaille, d'y fixer des repères. Les scènes et les figures qu'il représente sont toujours cadrées de près, évitant les lointains, les perspectives trop larges ou trop ouvertes, les espaces vides. Même dans la Vue de village, les maisons serrées de Castelnau, à l'arrière-plan, paraissent bien proches ; et dans les deux tableaux des Remparts d'Aigues-Mortes (1867), qui appartiennent au musée Fabre et à la National Gallery of Art de Washington, la solide ligne des fortifications ferme l'horizon au loin, retient le regard entre l'eau des marais et le ciel. Seules deux études (également conservées au musée Fabre) pour un grand tableau de Vendange envisagé au cours de l'automne de 1868, mais jamais peint, et dont certains croquis préparatoires montrent qu'il aurait été peuplé de nombreux personnages, laissent percevoir, dans l'espace qu'elles ouvrent très simplement, très largement, tout ce qui entrait de fascination dans cette crainte du vide. Il est assez significatif aussi qu'au cours des deux dernières années de sa vie, Bazille semble s'être détourné du paysage « pur », genre le plus étroitement lié à la peinture impressionniste : hormis une vue des Bords du Lez (1870, The Minneapolis Institute of Arts), où les troncs, les branches et les feuilles des arbres sont exécutés avec une précision presque sèche, qui fait d'ailleurs penser à Théodore Rousseau plutôt qu'à Monet, l'artiste ne produit plus en effet que des tableaux d'intérieur, portraits ou figures et natures mortes, et une scène de baignade où la nature n'est guère qu'un décor.

<it>La Toilette</it>, F. Bazille - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

La Toilette, F. Bazille

Aux infinis reflets changeants de la lumière naturelle, recherchés passionnément par Monet, et aux grands espaces vacants qui l'attirent et l'inquiètent, Bazille oppose la plénitude des formes et la netteté du dessin – parfois aussi, peut-être sous l'influence de Renoir, un sens décoratif raffiné, très perceptible quand il peint des vêtements de femme ou des bouquets de fleurs. En témoignent La Toilette (musée Fabre) et les deux tableaux intitulés Négresse aux pivoines (musée Fabre et National Gallery of Art, Washington) : trois œuvres de 1870 où il cherche une synthèse heureuse entre la tradition de Delacroix, les audaces de Manet et la solidité, l'aplomb de Courbet, usant d'une touche tantôt vive et minutieuse, tantôt grasse et brossée, jamais expéditive, qui s'exalte surtout à rendre les matières – le poli d'une peau jeune, le velouté d'une étoffe ou d'une fourrure, la fragilité des pétales –, et de beaux accords de couleurs : par exemple avec le visage de la femme noire auprès de son caraco de coton blanc. Et l'on comprend que Bazille se soit étonné de voir La Toilette refusée (sans doute « par erreur », écrit-il à son frère) par le même jury du Salon qui acceptait sans sourciller sa Scène d'été, une œuvre autrement ambitieuse et, dirait-on aujourd'hui, dérangeante, où il aborde non sans naïveté, fraîcheur et maladresse, un thème qui obsédera toute sa vie Cézanne.

Ici les personnages ne posent pas pour le peintre, comme dans la Réunion de famille. Les baigneurs sont censés être surpris en action : l'un nage, un autre aide son camarade à sortir de l'eau, deux autres s'empoignent... Bazille voudrait exprimer le mouvement, mais le manque d'unité de la composition et d'articulation entre les figures, et quelque[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Alain MADELEINE-PERDRILLAT. BAZILLE FRÉDÉRIC (1841-1870) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>La Robe rose</it>, dit <it>Vue de Castelnau-le-Lez, Hérault</it>, F. Bazille - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

La Robe rose, dit Vue de Castelnau-le-Lez, Hérault, F. Bazille

Frédéric Bazille peignant "Le Héron aux ailes déployées", A. Renoir - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Frédéric Bazille peignant "Le Héron aux ailes déployées", A. Renoir

<it>Scène d'été</it>, J. F. Bazille - crédits : Don de M. et Mme F. Meynier de Salinelles,  Bridgeman Images

Scène d'été, J. F. Bazille

Autres références

  • IMPRESSIONNISME

    • Écrit par Jean CASSOU
    • 9 484 mots
    • 32 médias
    ...Les premiers tableaux des jeunes peintres sont donc de cette tendance, mais avec déjà, la prédominance des tons clairs et de subtils effets de lumière. Frédéric Bazille (1841-1870), qui sera tué à Beaune-la-Rolande, peut apparaître comme bien représentatif des complexités et des promesses de la jeune peinture...
  • RENOIR AUGUSTE (1841-1919)

    • Écrit par Antoine TERRASSE
    • 2 832 mots
    • 9 médias
    ...et était admis à l'école des Beaux-Arts, et s'inscrivait en octobre de la même année à l'académie Gleyre, où il rencontra Claude Monet, Alfred Sisley, Frédéric Bazille. Ce dernier admirait beaucoup Courbet, et aussi Édouard Manet qui l'avait reçu dans son atelier. « Tu comprends, lui dit Bazille, Manet...

Voir aussi