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DÉTERMINISME, géographie

Le déterminisme, en géographie, renvoie communément au point de vue qui accorde une place prépondérante au milieu naturel dans l'analyse et l'explication des sociétés. On l'invoque toutefois plus souvent pour le critiquer chez l'adversaire que pour en faire ouvertement le fondement de son approche. La portée de ce paradoxe est amplifiée par l'ambiguïté des géographes dans leur propre pratique, comme en témoigne l'insistance avec laquelle ils n'ont eu de cesse, depuis plus d'un siècle, de rappeler qu'ils ne tombaient pas dans le piège du déterminisme.

Ainsi, dans l'histoire de la discipline, on a tendance à ramener la définition du déterminisme aux contributions de certains géographes allemands, notamment Carl Ritter (1779-1859) et encore plus Friedrich Ratzel (1844-1904), ou américains se réclamant de ce dernier, comme Ellen Semple (1863-1932) ou Ellsworth Huntington (1876-1947). En France, à ces auteurs sont ajoutés plutôt des disciples de Frédéric Le Play, comme Edmond Demolins (1853-1907), qui cherchaient à établir les liens existant entre le sol, le travail et la structure familiale pour fonder leur approche de la « science sociale ». C'est en accusant tous ces auteurs de déterminisme que l'école française de géographie, formée autour de Paul Vidal de La Blache (1845-1918), va chercher à se démarquer dans l'étude des rapports sociétés/nature.

C'est bien contre le déterminisme que s'est construite cette école. Pourtant, au-delà de ce principe dont il fallait se départir pour accéder à la « vraie » science géographique, la présence récurrente de Ratzel dans les histoires de la pensée n'est pas qu'une figure de style. Elle est le signe d'une réelle reconnaissance : on lui attribue l'invention de l'anthropogéographie, ou géographie humaine. C'est lui qui a fait des relations nature-société l'objet de la géographie, en accordant une attention toute particulière à l'influence de la nature sur l'homme.

Mais, en réduisant le déterminisme géographique à quelques formules qui le disqualifient – par exemple, expliquer un comportement humain par un aspect particulier du milieu naturel –, la caricature ne fait-elle pas trop vite oublier la question pour laquelle le déterminisme était invoqué : définir l'identité de la discipline ? Le déterminisme n'a-t-il pas structuré les conditions de développement de la pensée géographique, en particulier en France ?

L'ambiguïté des géographes

On pourrait dire que deux attitudes, à l'œuvre dans la réalité des travaux (les thèses, les monographies régionales, les articles), ont travaillé l'école française de géographie jusqu'à la fin des années 1960.

D'un coté, et de façon dominante, le déterminisme a été utilisé comme un modèle réductionniste de la connaissance géographique : on considère que la réalité géographique peut se comprendre à partir du déterminisme, même si elle est plus compliquée que ce qu'il permet de voir. Endossant l'évolutionnisme ambiant et en phase avec la croyance dans l'émancipation, par le progrès technique, des contraintes naturelles, ce courant géographique considère que les sociétés primitives touchent presque le modèle « à l'état pur », tant elles paraissent subir directement l'empire du milieu biophysique. Bien sûr, dans cette perspective, plus la civilisation prend le pas sur la nature, moins le modèle coïncide avec la réalité. L'analyse géographique devient alors plus subtile à effectuer, mais, pense-t-on, d'autant plus précieuse et pertinente, accessible au seul spécialiste. D'une certaine manière, plus le déterminisme du milieu naturel est délicat à révéler, presque invisible, tout proche de ce qui pourrait le ruiner, plus la géographie humaine devient essentielle,[...]

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Écrit par

  • : professeur, Laboratoire société-environnement-territoire, C.N.R.S. et université de Pau
  • : professeur à l'université de Grenoble-I, Institut de géographie alpine

Classification

Pour citer cet article

Vincent BERDOULAY et Olivier SOUBEYRAN. DÉTERMINISME, géographie [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • FEBVRE LUCIEN (1878-1956)

    • Écrit par Bertrand MÜLLER
    • 2 118 mots
    • 1 média
    ...La Terre et l’évolution humaine, commentant les travaux de l’école française de géographie (fondée par Paul Vidal de La Blache) et critiquant la géographie déterministe (représentée notamment par Friedrich Ratzel), paraissait accompagné de la mention de la collaboration du géographe Lionel Bataillon....
  • POSSIBILISME, géographie

    • Écrit par Vincent BERDOULAY, Olivier SOUBEYRAN
    • 1 530 mots
    ...humaine (1922), pour caractériser l'approche de celui-ci, l'a qualifiée de possibiliste. Selon lui, elle était la seule voie raisonnable face au déterminisme qu'il dénonçait chez Friedrich Ratzel, l'inspirateur de la géographie humaine, et face au sociologisme qu'incarnaient pour lui...
  • VIDAL DE LA BLACHE PAUL (1845-1918)

    • Écrit par Isabelle LEFORT
    • 1 008 mots

    Considéré comme le « père fondateur » de l'école française de géographie, Paul Vidal de La Blache a publié des ouvrages – Tableau de la géographie de la France (1903, réédité jusqu'en 1994), l'Atlas d'histoire et de géographie (1894) – qui restent des marqueurs...

Voir aussi