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LYNCH DAVID (1946- )

L'envers et l'endroit

Alternance et alliance de ce qui est caché et de ce qui est découvert, de ce qui est lumineux et de ce qui est obscur : c'est le même mouvement de balancier (autre forme d'envoûtement hypnotique) qu'on retrouve dans Blue Velvet, un thriller au climat malsain situé dans une coquette petite ville américaine – décor surgi des souvenirs de jeunesse de Lynch, et qui se révèle typique de son intérêt pour les déviations (la netteté des choses ouvre sur un chaos inquiétant), voire pour les déviances (la folie se pare des signes de la normalité). Blue Velvet, qui n'est qu'en apparence au service de son intrigue policière, est dominé par une force maléfique (dont l'incarnation est un gangster pervers polymorphe, à la fois père, amant et bébé, interprété par Denis Hopper), comme le seront Sailor et Lula (1990, palme d'or du festival de Cannes), où le visage ensanglanté d'une mère machiavélique symbolise cette puissance néfaste, et davantage encore LostHighway, avec le personnage satanique de « l'homme mystérieux ».

David Lynch soulève les forces du Mal pour filmer leur combat avec celles du Bien, de manière parfois caricaturale (ainsi dans Sailor et Lula, où perce la surenchère parodique), mais avec une visée qui ne l'est jamais : le désir manifeste du cinéaste n'est pas de rendre plus dramatique ou plus moral l'enjeu de ses films, mais bel et bien de parvenir à représenter cette lutte entre deux pouvoirs abstraits. Projet extravagant et passionnant qui a d'abord pris une forme expérimentale (Eraserhead), puis tour à tour presque classique (Elephant Man), hétéroclite (Dune), stylisée (Blue Velvet) et déchaînée (un maelström de violence faisant exploser le road-movie qu'est Sailor et Lula) jusqu'à recomposer une matière cinématographique en fusion dans LostHigway, où tout se fond de la manière la plus fascinante qui soit : les deux héros masculins (emboîtés comme des poupées russes), la femme blonde vénéneuse et la femme brune diaphane (véritable fétiche issu du film noir, déjà présent dans Blue Velvet), ou bien encore un crâne et une table en verre, le vivant et l'inerte échangeant leurs places.

Cette recomposition organique des images est l'expression d'une volonté de faire à la fois plus de cinéma avec le cinéma, et autre chose que du cinéma avec les moyens du cinéma : de la poésie, de la peinture, de la musique. David Lynch, qui est aussi peintre, compositeur et designer (il a conçu l'ameublement de la maison de LostHighway, et certaines de ses créations sont commercialisées), n'a cependant rien d'un artiste élitiste : en créant en 1990 la série TwinPeaks (dont TwinPeaksFireWalkWith Me est une reformulation destinée au cinéma), il a engendré un phénomène culturel de masse, tout en renouvelant la fiction et l'esthétique télévisuelles. Les deux premières saisons de TwinPeaks ont été diffusées en 1990-1991.

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Pour citer cet article

Frédéric STRAUSS. LYNCH DAVID (1946- ) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ERASERHEAD, film de David Lynch

    • Écrit par Michel CHION
    • 872 mots

    Eraserhead (« Tête à effacer ») est le premier long-métrage de David Lynch (1946- ) et reste dans sa filmographie une œuvre à part, tant par ses conditions de production (plus de cinq ans de travail, avec des moyens très réduits) que par son aspect parfois proche de l'abstraction. Projeté dans...

  • MULHOLLAND DRIVE (D. Lynch), en bref

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 254 mots

    Rarement film fut aussi déroutant pour la raison du spectateur, mais aussi plus fascinant pour l'œil, l'oreille, pour toute forme de perception et d'imagination en général. À l'origine David Lynch (né en 1946) avait conçu Mulholland Drive comme l'épisode pilote d'une série....

  • MULHOLLAND DRIVE (D. Lynch)

    • Écrit par Marc CERISUELO
    • 925 mots

    Comme toutes les œuvres d'importance, Mulholland Drive (2001, prix de la mise en scène au festival de Cannes) engendre son lot de malentendus. Dès sa genèse, le film de David Lynch quitte vite sa route initiale. La compagnie A.B.C. ne donne pas suite au « pilote » réalisé par l'auteur de ...

  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par Marc CERISUELO, Jean COLLET, Claude-Jean PHILIPPE
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    ...2004), Spike Lee, né en 1957 (Malcolm X, 1992), Quentin Tarantino, né en 1963 (ReservoirDogs, 1992 ; Pulp Fiction, 1994 ; Jackie Brown, 1997), et David Lynch, né en 1946 (Sailor et Lula, 1990 ; Lost Highway, 1997 ; Mulholland Drive, 2001), sont sans conteste les individualités marquantes de la...
  • PARLANT (CINÉMA) - (repères chronologiques)

    • Écrit par Michel CHION
    • 3 201 mots

    1899 États-Unis. The Astor Tramp, « picture song » de Thomas Edison. Bande filmée destinée à être accompagnée d'une chanson chantée en salle (derrière l'écran) par des artistes invités.

    1900 France. Présentation par Clément Maurice du Phono-Cinéma-Théâtre à l’'Exposition universelle....

  • POLICIER FILM

    • Écrit par Universalis, Jean TULARD
    • 4 270 mots
    • 5 médias
    ...fabrication des clips, se réfère aux séries télévisées, à la bande dessinée, au cinéma asisatique et pastiche à tout va. À l'intrigue policière, David Lynch ajoute une forte touche d'onirisme, dans Blue Velvet (1986, Grand Prix à Avoriaz en 1987), Sailor et Lula (Palme d'or à Cannes en 1990),...

Voir aussi