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CONTES, Charles Perrault Fiche de lecture

Un regard nouveau sur l'enfance

Les « gens de goût » sont donc les lecteurs des Contes. Ils savent que « les bagatelles » apparentes ne sont « pas de pures bagatelles » (Préface aux Contes), que la pédagogie et le récit enjoué sont aussi agréables à l'esprit qu'utiles à la réflexion, ne serait-ce que par la morale louable et instructive qu'ils développent au travers d'une simplicité retrouvée. Le traité de Fénelon, De l'éducation des filles (1687), puis Les Aventures de Télémaque (1699) montrent qu'on s'intéresse de plus en plus à ces enfants que l'on négligeait un peu trop. On cherche à tirer d'eux ce qu'il peut y avoir d'intéressant et de naturel dans l'homme, quitte à le redresser. Parallèlement, la dévotion à l'Enfant Jésus se déploie avec toute l'ardeur possible, comme si l'on aspirait à une image nouvelle de l'homme et de Dieu. Après la fable, les contes sont donc à la mode, grâce à l'abbé de Villiers et à ses Entretiens sur les contes de fées(1669), grâce à Perrault peut-être, mais aussi aux écrivains féminins : les Contes des fées de Mme d'Aulnoy (1697, premier conte publié en 1690), entre autres textes qu'on relit de nos jours (Mlle Lhéritier, 1695 ; Catherine Bernard, 1696), montrent qu'on veut alors un style de la douceur, capable d'introduire un point de vue critique sur la littérature consacrée qui précède. Sous la douceur, sous le désir d'instruire et de former, sous la pudeur, la bienséance et l'honnêteté, s'élabore l'idée que la nature peut révéler des vérités ou des conduites bien éloignées des morales admirables et convenues. La célèbre formule « Il était une fois » permet d'imaginer des lieux, des fées, des situations, de faire la part belle à l'idéal moral et de terminer par une fin heureuse où l'on se marie, et où l'on a beaucoup d'enfants. Mais elle met aussi en scène pour le lecteur tout le fond archaïque de ces récits : dévorations fantasmatiques, incestes et vengeances, injustices familiales : « Le Père et la Mère les menèrent dans l'endroit de la Forêt le plus épais et le plus obscur, et dès qu'ils y furent, ils gagnèrent un faux-fuyant et les laissèrent là. Le petit Poucet ne s'en chagrina pas beaucoup, parce qu'il croyait retrouver aisément son chemin par le moyen de son pain qu'il avait semé partout où il avait passé ; mais il fut bien surpris lorsqu'il ne put en retrouver une seule miette ; les Oiseaux étaient venus qui avaient tout mangé. Les voilà donc bien affligés, car plus ils marchaient, plus ils s'égaraient et s'enfonçaient dans la Forêt. La nuit vint, et il s'éleva un grand vent qui leur faisait des peurs épouvantables. Ils croyaient n'entendre de tous côtés que des hurlements de Loups qui venaient à eux pour les manger. Ils n'osaient presque se parler ni tourner la tête. » Entre ces deux pôles, l'ironie complice permet de jouer et de déchiffrer. Car Perrault ne se perd pas dans le merveilleux : il l'utilise et le met en distance. Au dénouement, le Petit Poucet fait ses comptes : il se met au service du roi, fait fortune en jouant les messagers de guerre, la double en servant des dames qui veulent avoir des nouvelles de leurs amants et, de retour au pays, établit sa famille avec tout son argent.

Longtemps considérés comme des ouvrages pour la jeunesse et presque dissociés de leur auteur (parce que donnés comme objets de folklore), les Contes de Perrault ont pu, depuis les années 1960, être réinvestis par la critique historique, psychanalytique et symbolique. Ils ont également donné lieu à de nombreuses illustrations et transcriptions cinématographiques, de Walt Disney (Cendrillon, 1950 ; La Belle au bois dormant, 1959) à Jacques Demy[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire et d'esthétique du théâtre à l'université de Paris-X-Nanterre

Classification

Pour citer cet article

Christian BIET. CONTES, Charles Perrault - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • CONTE

    • Écrit par Bernadette BRICOUT
    • 5 807 mots
    • 2 médias
    Le frontispice de l'édition originale des Contes du temps passé de Perrault (1697) représente une paysanne filant au coin du feu et faisant de beaux contes aux enfants qui l'entourent. Contes de vieilles, contes de servantes ou de nourrices, disait-on pour désigner ce que Cicéron appelait déjà...
  • FOLKLORE

    • Écrit par Nicole BELMONT
    • 12 229 mots
    • 1 média
    ...entier, comme c'est encore le cas pour l'actuelle école finlandaise. Paradoxalement la France, qui avait été la première à s'intéresser aux contes grâce à Charles Perrault, dès la fin du xviie siècle, fut une des dernières parmi les nations européennes à en entreprendre une collecte sur des bases scientifiques....
  • PERRAULT CHARLES (1628-1703)

    • Écrit par Marc SORIANO
    • 1 757 mots
    • 1 média
    Charles Perrault est-il le créateur de la littérature pour la jeunesse, comme on le dit souvent ? Il faut noter d'abord qu'au xviie siècle les enfants ne constituent pas un public distinct ; la littérature enfantine n'est pas un genre attesté, sauf peut-être dans le secteur de l'art oral,...
  • SORIANO MARC (1918-1994)

    • Écrit par Bernadette BRICOUT
    • 650 mots

    Marc Soriano est né au Caire en 1918. Après la mort de son père, sa famille se rend en Italie. Il séjourne à Pise entre 1921 et 1927, puis il vient vivre à Paris. Il est reçu à l'École normale supérieure en 1939. Mobilisé en 1939, blessé en avril 1940, il entre dans la Résistance en 1942 Premier de...

Voir aussi