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CARTOGRAPHIE

Cartographie et géopolitique

La manière même de concevoir une carte est lourde de sens. Depuis Mercator, les cartes étaient généralement centrées sur l’Europe, avec l’Asie et l’Amérique sur les côtés, illustrant en cela l’impérialisme européen. Mais ce système de centrage est devenu obsolète et de nouveaux types de planisphères sont apparus, centrés sur le pays où ils sont produits.

Par le biais de la carte, le cartographe peut faire passer un message et donner ainsi une interprétation orientée selon les idées qu’il veut illustrer, donner à voir. Les choix opérés pour réaliser les cartes ne sont pas toujours neutres. Dès lors, la carte est-elle simplement un outil de représentation et d’analyse ou peut-elle également être perçue comme un outil de manipulation ? Les décisions prises par le cartographe détermineront l’interprétation choisie par la carte. C’est la question de la subjectivité en cartographie. Concevoir une carte, c’est faire des choix. Ainsi, la carte n’est pas le monde mais le regard posé sur celui-ci.

La carte peut être contrôlée, voire manipulée, par le pouvoir politique jusqu’à devenir un véritable outil de propagande. Ainsi, entre les deux guerres mondiales, la carte de l’Allemagne établie par le régime nazi montrait-t-elle le Reich amputé d’une partie de son territoire, alors qu’il était l’agresseur. Dans le visuel comme dans le traitement des données, la carte donne une version idéologique des faits.

La cartographie et la géomatique jouent un rôle stratégique de connaissance de l’organisation des territoires et peuvent dès lors intervenir dans le raisonnement géopolitique. Une carte sert à préparer les traités de paix après un conflit, en redélimitant les frontières. Le géographe Yves Lacoste lançait de manière polémique en 1976 que « la géographie, ça sert d’abord à faire la guerre », retenant le rôle fondamental de la carte en tant qu’outil de conquête et de maintien du pouvoir. La carte est indispensable pour conduire des opérations tactiques sur le terrain. Yves Lacoste souligne que « dans beaucoup de pays du tiers-monde, la vente des cartes à grande échelle a été interdite à partir du moment où les tensions sociales ont atteint un certain seuil » tandis qu’à l’inverse « la libre circulation des cartes dans les pays de régime libéral est le corollaire de la petitesse du nombre de ceux qui peuvent envisager d’entreprendre contre les pouvoirs en place d’autres types d’actions que celles qui sont convenues dans un système démocratique. »

Dans les situations de crise, la cartographie, permettant de localiser des phénomènes qui évoluent très vite à l’aide des systèmes d’information géographique, peut constituer une arme puissante pour ceux qui choisissent la non-violence et pensent pouvoir déjouer la force par la communication sur la géographie des combats. La question de l’efficacité des cartes issues de ce qu’on appelle aussi la « science citoyenne » ouvre sur celle de la fonction des cartes et, dans le cas de conflit, de leur place stratégique.

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Écrit par

  • : ancien chef du service cartographie des Classiques Hachette
  • : maître de conférences en géographie, aménagement de l'espace et urbanisme à l'université de Paris-IV-Sorbonne, agrégée de géographie
  • : professeur honoraire, université Paris-VII

Classification

Pour citer cet article

Guy BONNEROT, Estelle DUCOM et Fernand JOLY. CARTOGRAPHIE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Carte du monde, XI<sup>e</sup> siècle - crédits : AKG-images

Carte du monde, XIe siècle

Atlas catalan - crédits : AKG-images

Atlas catalan

<em>Paris rangé</em>, Armelle Caron - crédits : Armelle Caron

Paris rangé, Armelle Caron

Autres références

  • ACCÉLÉROMÈTRES SPATIAUX

    • Écrit par Raphaël F. GARCIA, Pierre TOUBOUL
    • 4 883 mots
    • 3 médias
    La mission Goce a pour ambition de réaliser une carte globale du champ de gravité de la Terre avec une précision de 1 milligal (10–5 ms–2), soit environ 1 micro-g (1 millionième de la pesanteur), et une résolution géographique de 100 kilomètres. Les géodésiens ont pour habitude de représenter...
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    On donne le nom d'anticyclone à une région de l’atmosphère où la pression est plus élevée que dans les régions avoisinantes situées à une même altitude. À l’inverse, les dépressions (ou cyclones) correspondent à des zones où la pression est minimale. Anticyclones et dépressions ont une forte influence...

  • ARCHÉOLOGIE (Traitement et interprétation) - La photogrammétrie architecturale

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