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ANTIGONE, Sophocle Fiche de lecture

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Fatalité et démesure

La tragédie s'est structurée avec Eschyle, mort lorsque Sophocle avait quarante ans et lorsque Euripide, le plus jeune de cette génération de dramaturges classiques, faisait représenter sa première pièce. La principale innovation de Sophocle consiste à faire interpréter les pièces non plus par deux, mais par trois acteurs. Il donne ainsi une possibilité d'expression supplémentaire au personnage : définitivement en dehors du jeu collectif du chœur, celui-ci accède à l'individualité. Antigone peut ainsi prendre sa place sur le devant de la scène. Mais l'art dramaturgique de Sophocle se manifeste également dans l'invention du personnage d'Ismène, la sœur d'Antigone. C'est elle qui permet à l'action d'avancer, et au conflit d'exister. C'est elle qui oppose à sa sœur la possibilité d'une autre attitude face à l'édit de Créon : y a-t-il un sens à défier « le décret du roi et son autorité », et à affronter cette mort abominable « que nous subissons, si nous faisons violence à la loi » ? N'y a-t-il pas une autre manière d'être une digne sœur d'Étéocle et de Polynice, en continuant à vivre sans renier l'un ou l'autre frère, mais en renonçant « à courir après l'impossible » ?

Une même fatalité pèse sur les deux sœurs : « l'héritage désastreux d'Œdipe ». Il a délivré Thèbes du Sphinx, mais il a également tué son père Laïos et épousé sa mère Jocaste dont sont nés Étéocle, Polynice, Antigone et Ismène, frères et sœurs autant que fils et filles d'un Œdipe qui avait la même mère qu'eux. C'est par l'exaltation de la primauté absolue du lien fraternel qu'Antigone justifie le caractère irrévocable de sa décision : on peut avoir un autre mari, d'autres enfants, mais un frère mort est irremplaçable. La loi du sang l'emporte sur celle du mariage : Antigone s'avancera seule vers la caverne des Labdacides, où Créon l'a condamnée à être enfermée vivante, en regrettant de ne pas avoir connu le chant nuptial au côté de son fiancé, Hémon.

Antigone reste profondément humaine. Comme les autres personnages de Sophocle, son comportement est héroïque. Elle affronte Créon, portée par le même orgueil démesuré que lui, considéré par les Grecs comme une faute capitale. Mais elle ne s'avance pas, impassible, vers la mort. Elle se plaint devant le chœur, figure de la communauté. En accentuant l'importance des personnages, Sophocle donne au chœur une tout autre portée : celui-ci s'exprime par des chants, dans une langue poétique, et représente la sagesse des Anciens face à l'emportement des héros. Il donne une autre perspective aux événements, en les replaçant face à l'universel : il s'interroge sur la nature de l'homme, sur le poids de l'hérédité, sur le pouvoir de l'amour qui pousse Hémon à se révolter contre son père pour défendre la cause de sa fiancée.

La force de résistance d'Antigone semble éternelle. Représentation du désir de l'analyste pour Lacan, elle est devenue plus largement le symbole de toutes les femmes qui se dressent contre les tyrans, les interdits, l'impossibilité d'accomplir les rites du deuil, et toutes les injustices.

— Aliette ARMEL

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Pour citer cet article

Aliette ARMEL. ANTIGONE, Sophocle - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Médias

Sophocle - Athènes - crédits : Art Images/ Getty Images

Sophocle - Athènes

<em>Antigone</em> de Sophocle, mise en scène de Satoshi Miyagi - crédits : Jean Marc Zaorski/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Antigone de Sophocle, mise en scène de Satoshi Miyagi

Autres références

  • ANTIGONE

    • Écrit par
    • 672 mots

    Issue de l'union maudite, parce qu'incestueuse, d'Œdipe et de Jocaste, elle porte bien son nom (du grec Antigonê), celle que sa piété familiale condamnera à une mort atroce sans époux ni descendance, au terme d'une courte vie toute de malheur, d'errance et de déréliction. Être...

  • GRÈCE ANTIQUE (Civilisation) - L'homme grec

    • Écrit par
    • 8 602 mots
    Le débat de l'Antigone de Sophocle est un débat éternel. À qui devons-nous obéir, aux lois établies par la cité, ou à ces lois « non écrites », mais gravées au fond de la conscience et dont nous sentons bien que nous ne sommes plus rien si nous acceptons de les trahir ? Il n'est pas nécessaire...
  • JUSTICE (notions de base)

    • Écrit par
    • 3 431 mots
    ...Montesquieu, la justice semble pouvoir prendre appui sur des fondements qui ne dépendent pas uniquement de l’organisation particulière des sociétés. De l’Antigone de Sophocle (495-406 av. J.-C.), qui choisit de s’exposer à la mort plutôt que de respecter une loi lui paraissant inique et qui lui interdirait...
  • PHILOSOPHIE (notions de base)

    • Écrit par
    • 3 414 mots
    – elle est et a toujours été inquiète, ce en quoi elle reste grecque, comme l’a si élégamment exprimé Sophocle dans le premier chœur de son Antigone, « Multiple est l’inquiétant, mais rien n’est plus inquiétant que l’homme qui se soulève en s’élevant » ;