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KERTÉSZ ANDRÉ (1894-1985)

Désigner un seul artiste comme le représentant exemplaire de cent cinquante ans de photographie est naturellement injuste. Pourtant, par son extraordinaire longévité créatrice et par la diversité des domaines et des styles qu'il a abordés, André Kertész apparaît comme l'archétype du photographe moderne. Celui que le dadaïste Paul Dermée saluait, lors de sa première exposition parisienne, en 1927, comme « frère voyant » est bien le père de toutes les photographies actuelles : parce qu'il a exploré toutes les possibilités d'un médium neuf en refusant inlassablement d'en systématiser une seule. Depuis la première photographie de nuit, réalisée en Hongrie en 1914, jusqu'au traitement de la transparence et des lumières grâce aux couleurs du Polaroid dans le New York des années quatre-vingt, Kertész a toujours considéré la photographie comme l'instrument de nouvelles possibilités d'écriture. Il a ouvert des voies, faisant le point à chaque étape par des livres et des expositions avant d'aborder de nouvelles recherches. S'il n'a eu à proprement parler ni école ni élèves, c'est qu'il a laissé à d'autres le soin d'approfondir les domaines qu'il défrichait sans jamais en épuiser aucun ; romantique, surtout soucieux d'émotions et de poésie, Kertész était incapable de systématiser, comme le font trop souvent les photographes, une seule de ses pratiques. De là, la difficulté à caractériser un style dont l'évolution a été marquée par soixante-dix années de production et d'expérimentations liées aux péripéties de la biographie.

À l'écart des écoles et des formalismes, mais sensible aux débats esthétiques, Kertész a poursuivi un parcours solitaire, souvent marqué par la difficulté, voire par un certain fatalisme ; la reconnaissance internationale, aussi unanime que tardive, n'a jamais modifié son point de vue : « J'ai commencé à photographier instinctivement. Je n'ai jamais essayé d'imiter quelque peinture ou travail graphique que ce soit ; la photographie elle-même était le moyen par lequel j'essayais d'exprimer mes sentiments et mes émotions. Comme dans toute expression artistique, le plus important, avec la photographie, c'est de ressentir profondément ce que l'on est en train de faire. »

La genèse hongroise

André Kertész est né à Budapest le 2 juillet 1894 dans une famille aisée, cultivée et unie. L'enfant sera très tôt attiré et intrigué par les images. Il raconte avoir été frappé, à l'âge de six ou sept ans, par des gravures illustrant des magazines et les avoir très vite mises en relation avec les photographies que prenaient ses cousins et cousines. La vie paisible et les études sans histoire de l'adolescent sont bouleversées en 1908 par la mort du père. Mais sa famille l'entoure chaleureusement et, diplômé en 1912 de l'Académie de commerce de Budapest, il obtient un emploi à la Bourse. Ses premiers gains seront consacrés à l'achat d'un appareil photographique des plus modestes. Depuis longtemps, Kertész voulait réaliser des photographies mais, extrêmement fier, l'adolescent n'avait jamais voulu demander à son oncle-tuteur de lui offrir un appareil. Il a maintes fois raconté comment, adolescent, il « voyait » des photographies qu'il se promettait de fixer plus tard. Et il le fit, selon son propre aveu, pour la plupart d'entre elles. Au début, avec une curiosité et une énergie qui ne faibliront jamais, il tâtonne, apprend lui-même la technique, ce qui l'amenait, sur la fin de sa vie, à dire aux jeunes photographes « faites comme moi, accumulez les erreurs et corrigez-les ». Il photographie tout : les scènes de rues, la vie dans les villages, les enfants tziganes qui s'embrassent et jouent avec les animaux, une paysanne et son troupeau d'oies à l'ombre d'un arbre, un accordéoniste aveugle traversant une rue pavée, des[...]

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Pour citer cet article

Christian CAUJOLLE. KERTÉSZ ANDRÉ (1894-1985) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Paris, A. Kertesz - crédits : Frac-collection Aquitaine

Paris, A. Kertesz

<it>La Martinique, 1<sup>er</sup> janvier 1972</it>, A. Kertész - crédits : Courtesy Attila Pocze, Vintage Galéria, Budapest

La Martinique, 1er janvier 1972, A. Kertész

Autres références

  • ANDRÉ KERTÉSZ (exposition)

    • Écrit par Noël BOURCIER
    • 1 003 mots

    La rétrospective André Kertész, organisée du 28 septembre 2010 au 6 février 2011, au Jeu de Paume à Paris, rassemble près de trois cents « épreuves originales ou réalisées du vivant de l'artiste ». Si l'œuvre du photographe Kertész a déjà fait l'objet d'études approfondies (...

  • CHEFS-D'ŒUVRE PHOTOGRAPHIQUES DU MOMA. LA COLLECTION THOMAS WALTHER (exposition)

    • Écrit par Armelle CANITROT
    • 1 109 mots
    • 1 média
    ...Stella et Marcel Duchamp (Trois têtes, 1920), sa compatriote Berenice Abbott saisit l’élégance de James Joyce (1926). Avec la série iconique « Chez Mondrian » (1926), le Hongrois André Kertész brosse le portrait du peintre néerlandais par l’entremise des objets de son atelier parisien.
  • PARIS ÉCOLES DE

    • Écrit par Claire MAINGON
    • 2 622 mots
    • 1 média
    ...l'Ukrainienne Chana Orloff (1888-1968) ou le Lituanien Jacques Lipchitz (1891-1973). Les photographes, tels que l'Américain Man Ray (1890-1976) ou le Hongrois André Kertész (1894-1985), comptent également parmi les dignes représentants de cette école de Paris. Un nombre important d'entre eux étaient des juifs...

Voir aussi