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ABŪ TAMMĀM (804-845)

Une esthétique de l'efflorescence

Abū Tammām a laissé un recueil de 7 104 vers, quantitativement beaucoup moins important donc que ceux d'al-Buḥturī ou d'Ibn ar-Rūmī. Sur 463 poèmes, 204 sont des panégyriques ; 132, des poèmes d'amour. Le reste se répartit en satires, thrènes et autres poèmes de circonstance. Mais ce décompte ne rend pas compte de la réalité de l'œuvre. Car c'est l'éloge qui établit la gloire d'Abū Tammām, et c'est là qu'il élabore son écriture. De ce point de vue, il est un classique : seuls les auteurs de grandes compositions – qaṣīda –, célébrant les mérites d'un personnage ou les fastes d'un événement, peuvent consacrer le talent d'un poète. Dans un texte célèbre de son Kitāb aš-Sǐ’r wa aš-Sǔ’arā', Ibn Qutayba, en ce même iiie/ixe siècle, va jusqu'à énoncer les principes qui régissent l'organisation thématique d'une de ces compositions d'apparat dites de madīḥ (éloge).

Abū Tammām se conforme, en général, aux lois d'un genre imposé par l'évolution du métier de poète et consacré par un discours critique en passe d'imposer définitivement sa loi. Mais, s'il touche par là au classicisme, il entreprend d'y échapper en recourant à une écriture d'une difficulté extrême. Poète de l'insolite, il se met ainsi au service d'une esthétique de l'efflorescence décorative. Le lexique s'alimente au fonds ancien de la langue. Abū Tammām semble avoir fait des recherches qui lui ont permis de composer des anthologies de poètes anciens, dont sa Ḥamāsa constitue l'ensemble le plus vaste. La partie de ses odes consacrée à la description d'un animal, d'une arme, d'un bijou, ou encore au printemps, aux vents, fait étalage d'un vocabulaire technique qui n'est guère plus maîtrisé de son temps que par quelques spécialistes. Ces moments descriptifs constituent une des phases hautes du poème. La syntaxe y contrevient aux exigences de clarté. La phrase est longue, bourrée d'incises qui accaparent le vers, au mépris des règles classiques sur la hiérarchie des groupes grammaticaux. De nombreuses inversions accroissent le caractère étrange de certaines tournures et font subir un traitement très personnel à certains faits linguistiques. Les tropes, enfin et surtout, envahissent le vers. Figures de style et de pensée, parallélismes phoniques se multiplient jusqu'au baroque. Les ellipses, les métaphores distendues à l'extrême, les comparaisons insolites, les images rendues obscures par excès de subtilité ou d'abstraction, tout fait obstacle au sens. À cela s'ajoutent une symbolique dont on perce mal les secrets et des correspondances de sensations et de perceptions, dont la logique n'apparaît pas toujours clairement.

Au moment où se définissent tout à la fois l'usage classique de la langue et la pratique canonique de la poésie, cette œuvre s'oppose à l'idée d'écriture définie par le discours critique. À l'usage immodéré du badī’ illustré par notre poète s'oppose la poésie dite du ’amūd dont on va chercher les exemples dans le diwān de son jeune contribule al-Buḥturī. Au ive/xe siècle se développe un véritable genre critique, celui des parallèles, qui oppose les deux écritures. La confrontation est au cœur des ouvrages composés par ’Alī al-Djurdjānī, al-Marzubānī, al-Marzūqī et al-Āmidī. Il faut dire que l'enjeu est d'importance : il ne s'agit rien de moins que de régler le problème du sens en poésie. Le discours critique dominant opte pour la clarté contre l'ambiguïté, pour l'efficacité de la communication contre l'exploitation des surprises, pour l'ordonnancement maîtrisé de la langue, contre la recherche hasardeuse de son imaginaire. Il ne faut pas oublier que ces règles régiront[...]

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Pour citer cet article

Jamel Eddine BENCHEIKH. ABŪ TAMMĀM (804-845) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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