Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

KIAROSTAMI ABBAS (1940-2016)

<em>Ten</em>, Abbas Kiarostami - crédits : The Kobal Collection/ Aurimages

Ten, Abbas Kiarostami

Découvert en France en 1988, Abbas Kiarostami est le plus important des représentants du nouveau cinéma iranien des années 1980. Des œuvres telles que Close-up, Le Goût de la cerise ou Le vent nous emportera font de lui une figure majeure du cinéma contemporain. On a pu, en effet, rapprocher sa quête de la réalité et son interrogation sur les pouvoirs de l'image de celles qui parcourent l'œuvre de Roberto Rossellini.

Où est la réalité ?

Né à Téhéran le 22 juin 1940, très tôt passionné de peinture, Abbas Kiarostami fait des études artistiques tout en travaillant dans l'administration. Il débute comme cinéaste publicitaire et réalise, de 1960 à 1969, plus de cent cinquante messages publicitaires. Il participe alors étroitement aux travaux de l'Institut pour le développement intellectuel des enfants et jeunes adultes (le Kanum), pour lequel il réalise près de vingt films de court ou de long métrage fondés sur une observation – du comportement des enfants, principalement – qui les apparente au cinéma documentaire, mais qui débouche toujours sur la fiction. Contrairement à une idée trop vite répandue en Occident, Kiarostami n'utilise pas le documentaire pour déjouer la censure, pas plus qu'il ne détourne fondamentalement le projet pédagogique de sa fonction première : il la prolonge plutôt en en interrogeant le dispositif.

Abbas Kiarostami - crédits : Jean Baptiste Lacroix/ WireImage/ Getty Images

Abbas Kiarostami

En fait, Kiarostami a découvert très tôt l'importance de la forme par rapport à l'anecdote : au générique de Nan va kucheh (Le Pain et la Rue, 1970), un jeune garçon frappe régulièrement du pied une boîte de conserve qui n'en quitte jamais pour autant le champ, ce qui suscite chez le spectateur un double sentiment de satisfaction et de frustration, qui reste à la base du cinéma de l'auteur. Khaneh-yedustkojast ? (Où est la maison de mon ami ?, 1987) ne peut plus être lu, à la lumière des réalisations ultérieures du cinéaste, comme un film réaliste ou comme une simple métaphore de la pression du pouvoir : adapté d'un poème de Sohrab Sepehri, mystique et libertin (au sens littéral du terme), c'est un conte didactique qui débouche vers la réflexion morale et philosophique. La femme, la politique, la religion étant sujets proscrits, c'est à travers l'enfant que Kiarostami parle du conflit dramatique et éternel entre plaisir et devoir. Il le fait littéralement dans Masq-eshab (Devoirs du soir, 1990), enquête sur le conflit quotidien, à la maison, entre les devoirs du soir et les dessins animés de la télévision (qui semblent bien l'emporter). Dans Où est la maison de mon ami ?, Ahmad, en tentant de retrouver la maison de son ami, découvre peu à peu la nécessité de renoncer à l'obéissance aux règles et à la tradition des adultes pour trouver son autonomie ; la désobéissance, voire la tricherie, apparaissant comme seules susceptibles de sauver son ami. Mais il faut savoir qui est l'« Ami » pour trouver la et sa vérité. Ce sera le sujet de Va Zendegiedamehdarad (Et la vie continue, 1992). Quelque temps après le tremblement de terre de juin 1990, Kiarostami revient dans la région du Gilan pour montrer un cinéaste et son fils tentant de se rendre au village de Koker pour prendre des nouvelles des enfants qui ont joué dans Où est la maison de mon ami ? Le cinéaste n'est pas Kiarostami, l'enfant n'est pas son fils, mais le film cité existe, les lieux sont parfois les mêmes, et les habitants de la région fouillent les décombres comme ils l'ont fait quelques mois plus tôt... Où est la réalité ? Comment l'appréhender, puisque le cinéma a toujours un temps de retard ? Le cinéaste ne risque-t-il pas de faire comme Qasem, le jeune héros de Mosafer (Le Passager, 1974), qui sacrifie tout et escroque ses camarades pour aller voir jouer l'équipe nationale de football à Téhéran, mais qui s'endort avant[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

Classification

Pour citer cet article

Joël MAGNY. KIAROSTAMI ABBAS (1940-2016) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<em>Ten</em>, Abbas Kiarostami - crédits : The Kobal Collection/ Aurimages

Ten, Abbas Kiarostami

Abbas Kiarostami - crédits : Jean Baptiste Lacroix/ WireImage/ Getty Images

Abbas Kiarostami

Autres références

  • LE GOÛT DE LA CERISE, film de Abbas Kiarostami

    • Écrit par Jacques AUMONT
    • 959 mots

    Palme d'or à Cannes en 1997, Le Goût de lacerise (Tam-e ghilas) est le premier film à recevoir le prix Federico Fellini de l'U.N.E.S.C.O. C'est la consécration, pour un cinéaste présent dans les salles européennes depuis une dizaine d'années, mais qui filmait depuis 1970. Avec ...

  • TEN (A. Kiarostami)

    • Écrit par René PRÉDAL
    • 955 mots
    • 1 média

    Réalisateur iranien tournant depuis 1970 (Le Pain et la rue), révélé aux cinéphiles français par la sortie en 1990 de Où est la maison de mon ami ?, Abbas Kiarostami obtient la palme d'or au Festival de Cannes 1998 avec Le Goût de la cerise, puis le grand prix du jury de la Mostra de Venise...

  • IRAN - Cinéma

    • Écrit par Charles TESSON
    • 2 849 mots
    ...la cellule cinéma créée en 1969 au sein de l'Institut pour le développement intellectuel des enfants et jeunes adultes (I.D.I.E.J.A.), fondé en 1965. Abbas Kiarostami, à l'origine de sa création, y tourne en 1970 son premier court-métrage, Le Pain et la rue, puis Le Passager (1974), où l'on voit...
  • PARLANT CINÉMA

    • Écrit par Michel CHION
    • 8 140 mots
    • 6 médias
    Le cinéaste iranien Abbas Kiarostami a réalisé des films entiers où des conversations se déroulent entre deux passagers assis à l'avant d'une voiture. Il utilise pour cela les progrès de la miniaturisation des caméras et des appareils enregistreurs. Dans Le vent nous emportera (1999),...
  • PARLANT (CINÉMA) - (repères chronologiques)

    • Écrit par Michel CHION
    • 3 201 mots

    1899 États-Unis. The Astor Tramp, « picture song » de Thomas Edison. Bande filmée destinée à être accompagnée d'une chanson chantée en salle (derrière l'écran) par des artistes invités.

    1900 France. Présentation par Clément Maurice du Phono-Cinéma-Théâtre à l’'Exposition universelle....

Voir aussi