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BROWNING ROBERT (1812-1889)

« Public britannique, toi qui ne m'aimes point » : le vers-refrain de L'Anneau et le Livre s'est trouvé tardivement démenti par le prodigieux succès que Browning a connu à la fin de sa vie. Mais la postérité est retombée dans l'incompréhension et la malveillance. Théodore de Wyzewa ne voyait, dans le cortège funèbre du grand écrivain, qu'« une foule de professeurs, quelques métaphysiciens et toutes les vieilles filles, qui sont nombreuses dans son pays ». Les unes pleurent le héros d'un roman d'amour, les autres rendent hommage à un confrère philosophe et à un grand érudit : on oublie seulement le poète, on lui refuse même cette qualité sur laquelle il faut au contraire fortement insister.

Le roman de Robert et d'Élisabeth Browning

L'événement central de l'existence de Robert Browning fut son mariage secret avec Élisabeth Barrett (1806-1861), le 12 septembre 1846. La jeune femme, de nature fragile, avait été victime d'une chute de cheval et atteinte à la colonne vertébrale. Sous la surveillance d'un père trop possessif, elle restait confinée dans sa chambre de malade et tentait de compenser son immobilité forcée par des vers aux images violentes qui la rendirent tôt célèbre. Browning entra en correspondance avec elle, parvint, non sans peine, à la voir, demanda sa main et, s'étant exposé au refus de Mr. Barrett, dut l'épouser sans son aveu, puis l'enlever. Ils s'installèrent en Italie où ils vécurent quinze années d'un bonheur parfait jusqu'à la mort d'Élisabeth en 1861. Elle laissait un fils à Robert et resta si présente en son cœur que dans sa vieillesse il pouvait dire : « Je suis comme si elle était morte hier. » Il attendit la mort avec confiance, avec impatience même, désirant apercevoir, dans le ciel, la lumière blanche de la « lyrique bien-aimée, mi-ange, mi-oiseau ».

Les Sonnets de la Portugaise, écrits par Élisabeth, sont le témoignage le plus célèbre de cet amour exceptionnel. Il faudrait y ajouter l'originale correspondance qu'elle échangea avec son futur mari. Il faudrait aussi remarquer comment cet amour nourrit la poésie de Browning lui-même. Il inspire directement certaines pièces (« Prospice » dans Dramatis Personae, 1864). Le poète choisit comme symbole de son art l'anneau que portait sa compagne. Et il place, à la source de son chant, l'espoir que, « malgré l'éloignement et l'ombre, ce qui fut puisse être de nouveau ».

Amant romanesque, Browning fut pourtant le moins romanesque des hommes. G. K. Chesterton a souligné, à juste titre, que l'enlèvement fut un événement exceptionnel dans la vie d'un conformiste. Obéissant à une morale stricte, le séducteur malgré lui n'a cessé de s'interroger ensuite sur la légitimité de son acte, surtout après la mort d'Élisabeth. Il transpose sa situation dans l'histoire du chanoine Caponsacchi, qui délivre Pompilia du joug sévère de son mari, le comte Guido Franceschini (L'Anneau et le Livre, 1864). Il lui oppose, en la condamnant, l'attitude du duc Ferdinand et de son amante qui, reculant sans cesse la date de l'enlèvement projeté, meurent sans s'être retrouvés (« La Statue et le Buste », dans Hommes et Femmes, 1855). Sa justification, il la trouve dans le sens que cette heure unique a donné à deux existences qui, sans cela, seraient restées inaccomplies et pendraient « sans unité et décousues » dans le vide (« La Jeunesse et l'Art », dans Dramatis Personae).

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Écrit par

  • : professeur émérite de littérature comparée à l'université de Paris-Sorbonne, membre de l'Académie des sciences morales et politiques

Classification

Pour citer cet article

Pierre BRUNEL. BROWNING ROBERT (1812-1889) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • HOMMES ET FEMMES, Robert Browning - Fiche de lecture

    • Écrit par Yann THOLONIAT
    • 914 mots

    Recueil majeur de la poésie anglaise du xixe siècle, Hommes et femmes marque l'apogée de la carrière de Robert Browning. Ce recueil paraît en 1855, alors qu'il vit depuis neuf ans en Italie, à Florence, avec sa femme la poétesse Elizabeth Barrett. Après les Poèmes dramatiques (1842)...

  • ANGLAIS (ART ET CULTURE) - Littérature

    • Écrit par Elisabeth ANGEL-PEREZ, Jacques DARRAS, Jean GATTÉGNO, Vanessa GUIGNERY, Christine JORDIS, Ann LECERCLE, Mario PRAZ
    • 28 170 mots
    • 30 médias
    ...délicieuse charmille. Ce fait se vérifie chez les meilleurs poètes de l'époque : Alfred Tennyson (1809-1892) et A. C.  Swinburne (1837-1909). Quant à Robert Browning (1812-1889), son « Dieu est dans le ciel, tout va bien dans le monde » coïncide trop avec l'opinion courante de l'âge victorien pour qu'on...
  • VICTORIENNE ÉPOQUE

    • Écrit par Louis BONNEROT, Roland MARX
    • 10 883 mots
    • 11 médias
    ...J. A. Symonds (1840-1893) et Wilde (1854-1900). Un souci d'objectivité, correctif du romantisme confessionnel, restreint au minimum les « cris du cœur ». Browning rivalise presque avec Shakespeare comme « amateur d'âmes », mais ses explorations psychologiques se font par procuration, par l'emploi du « monologue...

Voir aussi