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YEATS WILLIAM BUTLER (1865-1939)

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Le masque et l'anti-moi

Dans ses activités, le souci de participer à la vie de son pays et d'en illustrer la cause se manifesta sur plusieurs plans. Il créa avec Lady Gregory un théâtre national irlandais qui allait devenir le célèbre Abbey Theatre, dont il devait être le directeur pendant des années. Il prit violemment parti pour Synge, qui fit tant en faveur du renouveau du théâtre irlandais, lors du scandale que suscita en 1907 la création à Dublin du Baladin du monde occidental, les Irlandais considérant leur honneur atteint par cette pièce qui tourne autour d'un parricide. L'histoire de son pays, qu'il s'agisse de sa politique ou de son évocation artistique, est au cœur de l'œuvre de Yeats qui reflète les événements cruciaux des luttes nationalistes irlandaises. On voit combien l'homme d'action coexistait avec le visionnaire. Ces antinomies profondes, ressenties comme nécessaires, il les a résolues à travers sa conception de l'anti-moi et du masque : il faut savoir être le contraire de ce vers quoi l'on est naturellement porté. Dans ses Autobiographies, faisant retour vers le passé, Yeats s'éloignera de ses premiers poèmes et avouera ne plus aimer que les vers où il s'est heurté « à quelque chose de froid, de dur, une image à l'opposé de ce qu'il est dans la vie quotidienne ». C'est non seulement la résolution des contraires qui est le but du masque, mais la plongée dans un univers archaïque ou futur : la « doctrine du masque [l'a] convaincu que tout homme passionné [...] est lié en quelque sorte à une autre époque, historique ou imaginaire, et que là seulement il trouve des images qui éveillent son énergie ». Dans nombre de ses poèmes, à côté de l'évocation de figures historiques réelles (Parnell, O'Leary, le major Gregory, Constance Markiewicz), Yeats met en scène de façon admirable des héros mythiques de l'Irlande, comme Cuchulain, Emer et Conchubar, qui animent un cycle de pièces échelonnées jusqu'à sa mort, Sur le rivage de Baile (1904), Deirdre (1907), Le Heaume vert (The Green Helmet, 1910), La Seule Jalousie d'Emer (The Only Jealousy of Emer, 1919) et La Mort de Cuchulain (The Death of Cuchulain, 1939). Enfin, il crée des personnages, tels Owen Aherne ou Michael Robartes, le visionnaire solitaire de la tour, qui sont de véritables porte-parole de ses songes, des catalyseurs de cette « énergie » psychique.

Après le refus d'Yseult Gonne, en 1917, Yeats épouse, la même année, George Hyde-Lees, qui allait se livrer à l'écriture automatique. Ils vivent alors dans une tour en ruine qu'ils restaurent, Thor Ballylee, non loin du domaine de Coole appartenant à Lady Gregory. Dans les années vingt, sous l'influence d'Ezra Pound, Yeats s'initie au nō japonais. Il choisit cette forme de théâtre parce qu'elle est « aristocratique, indirecte et symbolique », que le décor y est presque absent et le tragique retenu à son apogée dans une immobilité aiguë. Alors que toute tragédie exprime le conflit entre le héros et les circonstances, ce que Yeats demande au drame inspiré par le nō, c'est de représenter l'insupportable tension résultant des conflits intérieurs, dont la danse et le chant mêlés donnent une image exemplaire dans ses Quatre Pièces pour danseurs (Four Plays for Dancers). Dans deux de ses dernières pièces, Le Roi de la Grande Tour (The King of the Great Clock Tower, 1935) et Pleine Lune en mars (A Full Moon in March, 1935), l'effet scénique est d'autant plus frappant que c'est une tête décapitée qui chante dans un symbolisme évoquant le mythe d'Orphée.

Yeats a exposé sa pensée philosophique, mystique et mytho-poétique dans A Vision (1925, version définitive en 1937), où il élabore une véritable cosmogonie et une théorie des variations de[...]

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Pour citer cet article

Diane de MARGERIE. YEATS WILLIAM BUTLER (1865-1939) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Média

T. S. Eliot et W. B. Yeats - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

T. S. Eliot et W. B. Yeats

Autres références

  • BAX ARNOLD (1883-1953)

    • Écrit par
    • 805 mots

    Né à Streatham (Londres) le 8 novembre 1883, dans une famille fortunée qui le mettra sa vie durant à l'abri des contingences matérielles, le compositeur britannique Arnold Edward Trevor Bax commence très tôt à étudier la musique. Il fréquente, de 1900 à 1905, la Royal Academy of Music de Londres, où...

  • GEORGIENS POÈTES

    • Écrit par
    • 2 389 mots
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    A. E.  Housman et Thomas Hardy sont, en quelque manière, avec William Butler Yeats (1865-1939), des précurseurs. A Shropshire Lad, le célèbre recueil de Housman, fut un livre de chevet pour les georgiens. Il évoque, avec une élégante économie d'écriture, les paysages de son comté et exprime avec...
  • GREGORY AUGUSTA (1852-1932)

    • Écrit par
    • 241 mots
    • 1 média

    Dramaturge irlandaise. Issue d'une riche famille aristocratique, mariée à un membre du Parlement, ancien gouverneur de Ceylan, Augusta Gregory ne semblait pas destinée au rôle qu'elle joua dans la renaissance celtique. C'est après la mort de son mari, en 1892, et à l'occasion d'une rencontre avec...

  • NOUVEAUX POÈMES, William Butler Yeats - Fiche de lecture

    • Écrit par
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    • 1 média

    William Butler Yeats (1865-1939) ne fut pas seulement un grand poète novateur et visionnaire. Il s'engagea en politique, explora l'histoire celte, cofonda l'Abbey Theatre, le théâtre national irlandais. Né à sandymount, dans la banlieue de Dublin, ce fils de peintre n'est guère séduit pas l'école....