BOROWCZYK WALERIAN (1923-2006)
Cinéaste inclassable, Walerian Borowczyk, né le 2 septembre 1923 à Kwilcz, à l'ouest de Poznán, fut d'abord, en Pologne puis en France, l'initiateur majeur d'un nouveau cinéma d'animation mêlant, en des fables grinçantes, réminiscences surréalistes et quête de l'absurde, grâce à des techniques de découpage et de collage ingénieuses, faisant intervenir des photos, des peintures, des dessins. Jan Svankmajer, Terry Gilliam ou les frères Quay le revendiquent comme un de leurs maîtres. À partir de 1974, quelques années après être passé à la mise en scène traditionnelle avec acteurs, il devint, notamment avec Les Contes immoraux, un « spécialiste » de l'érotisme esthétisant qui le conduisit par exemple à concocter, en 1987, un inutile Emmanuelle V.
Fils d'un peintre naïf qu'il admire et auquel il rend hommage dans Le Sentiment récompensé (1957), coréalisé avec Jan Lenica, Walerian Borowczyk entre à l'École des beaux-arts de Cracovie en 1946 pour y étudier la peinture et la lithographie. Dès cette époque, il réalise un petit film d'amateur.
Diplômé en 1951, il travaille comme graphiste avant de se rendre à Paris, trois ans plus tard. Là, il tourne deux documentaires : Photographies vivantes et L'Atelier de Fernand Léger. De retour en Pologne, il s'associe à Jan Lenica pour mener à bien L'Étendard des jeunes (1957) et surtout Il était une fois (1957). Dans le premier court-métrage, des images d'archives de la Seconde Guerre mondiale sont mélangées à des combats de boxe, des coupures de journaux retraçant des exploits dans l'espace et des concerts de rock. La pellicule est parfois attaquée et striée. Il était une fois resserre le propos : c'est un trajet accompli par une surface vaguement ronde accouplée à quelques éléments graphiques à caractère géométrique qui peuvent, au gré de montages et collages divers, représenter un oiseau, un homme-oiseau et diverses figurines.
L'aspect dissonant, hétéroclite, géométrisant de La Maison (1958) en fait plus l'œuvre de Borowczyk que de Lenica. On y voit, pour la première fois, dans sa filmographie, un personnage en chair et en os (Ligia Branice, son épouse, interprète dix ans plus tard de son premier long-métrage de fiction, Goto, l'île d'amour) se mêler à des personnages dessinés, détourés, empruntés à des gravures.
Borowczyk s'établit en France en 1959. Il côtoie Chris Marker, Robert Lapoujade, mais aussi les artistes et musiciens du service de la recherche de l'O.R.T.F., dirigé par Pierre Schaeffer, un pionnier de la musique concrète. Avec Les Astronautes (1959), Le Concert de monsieur et madame Kabal (1962), Renaissance (1963), Le Jeu des anges (1964), Rosalie (1966), Gavotte (1966), l'auteur développe un style et une écriture personnels qui mélangent les collages d'éléments composites (Les Astronautes est un anti-space opera, à mi-chemin entre Max Ernst et Méliès), les discordances calculées (Le Jeu des anges) et les constructions-déconstructions (Renaissance). La volonté de combiner les techniques de l'animation se double, chez le cinéaste, d'un désir de catalogage, comme le montre Une collection particulière (1973), mais également Rosalie, d'après Maupassant, film en prises de vues réelles où une pauvre infanticide décrit son forfait : sa parole se voit, au fur et à mesure, confisquée par les objets qui sont les témoins et les traces de l'événement.
Borowczyk réalise en 1967 son premier et dernier long-métrage d'animation : une fable grotesque, extravagante et esthétiquement splendide, Le Théâtre de monsieur et madame Kabal, qui traite des déboires conjugaux d'un petit homme tyrannisé par une épouse monstrueuse, elle-même frustrée par le manque d'amour de son compagnon, amateur de jeunes filles.
Avec Goto, l'île d'amour (1968), premier long-métrage avec personnages réels, encore proche esthétiquement de ses films d'animation (genre qu'il n'illustre plus que très sporadiquement avec de rares courts-métrages comme Scherzo infernal, 1984), l'auteur développe une fable autarcique sur la trahison d'un serviteur qui convoite la femme du dictateur de l'île et commet les pires trahisons. L'utilisation graphique des décors, proche de l'enluminure, se retrouve encore dans Blanche (1971), film inspiré du roman Mazepa de Juliusz Slowacki, transposé au xiiie siècle français : une jeune femme mariée à un vieil hobereau est courtisée par le roi et finit par se suicider.
Mais Borowczyk ne parvient pas vraiment, à l'instar de ses lointains disciples les frères Quay, à transposer son univers graphique dans ses longs-métrages de fiction. De 1974 à la fin de sa carrière, il s'oriente vers un « érotisme cultivé » et revisite diverses périodes historiques : le xve siècle (Lucrezia Borgia, sketch des Contes immoraux, 1974), le xviie (Erzsebet Bathory, épisode du même film), la Renaissance dans Les Héroïnes du mal (1978), la fin du xixe dans L'Histoire d'un péché (1975), voire le xxe avec La Marge (1976), d'après le roman d'André Pieyre de Mandiargues. Il s'attache aussi aux mythes culturels comme celui de la Belle et la Bête (La Bête, 1975), ou littéraires et cinématographiques tel Lulu (1980) d'après la pièce de Frank Wedekind et le film de G. W. Pabst ou Docteur Jekyll et les femmes (1981) d'après Robert Louis Stevenson.
Accédez à l'intégralité de nos articles
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Raphaël BASSAN : critique et historien de cinéma
Classification
Autres références
-
CINÉMA (Cinémas parallèles) - Le cinéma d'animation
- Écrit par Bernard GÉNIN et André MARTIN
- 17 661 mots
- 5 médias
Un des maîtres de cette animation évacuée demeureWalerian Borowczyk qui, après avoir animé des phases photographiques avec une remarquable avarice sérielle (L'École, 1958 ; Les Astronautes, 1959) combine une rigueur de composition et de manipulation magistrale avec des formes de maladresse... -
ÉROTISME
- Écrit par Frédérique DEVAUX , René MILHAU , Jean-Jacques PAUVERT , Mario PRAZ et Jean SÉMOLUÉ
- 19 777 mots
- 6 médias
Les Contes immoraux, deBorowczyk, explorent une autre veine, plus proche de l'érotisme surréalisant d'André Pieyre de Mandiargues, et, à travers les séquences du film, dénoncent les excès des pouvoirs, politique, religieux, machiste, maternel. Pour être très présente, la violence sexuelle n'en préserve...
Voir aussi