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UNE JOURNÉE D'IVAN DENISSOVITCH, Alexandre Soljénitsyne Fiche de lecture

Heinrich Böll et Soljénitsyne - crédits : Jean-Claude Francolon/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Heinrich Böll et Soljénitsyne

En 1962, un inconnu, Alexandre Soljénitsyne (1918-2008), envoie le manuscrit d'un récit écrit trois ans plus tôt à la revue soviétique réputée « libérale », Novy Mir (Monde nouveau). Son directeur, Alexandre Tvardovski, obtient l'imprimatur de Nikita Khrouchtchev lui-même, qui, s'il est loin d'être un libéral, entend utiliser le livre contre ses adversaires conservateurs. Les lecteurs russes s'arrachent Une journée d'Ivan Denissovitch.

En France, les communistes organisent aussitôt la traduction et le lancement du livre qui, préfacé par Pierre Daix, connaît un grand succès. L'opération, supervisée par Aragon et Elsa Triolet, vise à faire croire que l'URSS a changé, que le stalinisme fut une déviation ou une erreur mais que le régime fondé par Lénine est foncièrement sain. En fait, les communistes ne vont pas pouvoir longtemps contrôler la réception du récit. Un fait est désormais acquis : il a existé un système concentrationnaire de masse au pays des soviets.

« C'est la vérité qui compte, écrit Soljénitsyne, il faut écrire pour que tout cela ne soit pas oublié, pour qu'un jour nos descendants l'apprennent. » Rescapé de huit « saisons en enfer », huit années au Goulag, l'écrivain sait quelles limites il lui est interdit de franchir : il a consenti à toutes les coupes que le pouvoir lui demandait. L'essentiel était que le livre paraisse et fasse son chemin. Il faudra attendre 1973 pour que le texte original soit connu et fasse l'objet d'une traduction plus fidèle que la première.

Le quotidien concentrationnaire

Une journée d'Ivan Denissovitch est un récit semi-autobiographique, linéaire et laconique dont le titre indique clairement le contenu. Il ne se passe rien d'extraordinaire dans les quelque dix-huit heures de cette journée d'Ivan Choukhov : réveil, soupe à la cantine, appels et contre-appels, travail dans le froid, retour à la baraque. « Des journées comme ça – conclut le narrateur – dans sa peine, il y en avait, d'un bout à l'autre, trois mille six cent cinquante-trois. »

Le personnage focal du récit est un paysan russe qui fut soldat de deuxième classe. Du moujik tolstoïen, Ivan Choukhov a gardé quelques traits caractéristiques. Il est fruste, superstitieux mais roublard. Il aime la belle ouvrage et respecte son chef de brigade, mais il chaparde des suppléments. Ce n'est pas un révolté, il ne comprend pas ce qui lui est arrivé. Ce n'est pas non plus un héros soviétique : il reste complètement étranger à l'idéologie officielle. Coupé des siens, il vit au présent et économise ses forces. L'essentiel est qu'il a su garder sa dignité. C'est pourquoi il a des chances de survivre.

D'autres figures traversent le récit, l'ex-commandant Bouynovski châtié pour s'être rebellé, César le « planqué », Aliocha le baptiste. L'échantillon de la population concentrationnaire ruine le mensonge de la propagande officielle. Il n'y a là que des anciens prisonniers de guerre, des croyants, des paysans, des Baltes, des Ukrainiens. Leur culpabilité est sociologique ou ethnologique. Le seul délinquant de droit commun avéré se retrouve, comme par hasard, chef de baraque. Quand les Choukhov se comptent par millions, le pouvoir est contre le peuple, suggère Soljénitsyne.

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Pour citer cet article

Jean yves GUÉRIN. UNE JOURNÉE D'IVAN DENISSOVITCH, Alexandre Soljénitsyne - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Heinrich Böll et Soljénitsyne - crédits : Jean-Claude Francolon/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Heinrich Böll et Soljénitsyne

Autres références

  • SOLJÉNITSYNE ALEXANDRE ISSAÏEVITCH (1918-2008)

    • Écrit par Georges NIVAT
    • 3 365 mots
    • 2 médias
    Une journée d'Ivan Denissovitch, dont la parution en 1962 dans le numéro 11 de la revue Novy Mir (dirigée alors par Tvardovski) révéla le nom de Soljénitsyne à l'univers entier, est une « chute » du grand roman dialogué et philosophique. Nous sommes au cinquième ou sixième cercle de l'enfer...

Voir aussi