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ROETHKE THEODORE (1908-1963)

Né à Saginaw (Michigan), homme du nord-ouest des États-Unis (l'État de Washington) comme Robinson Jeffers avait été avant lui l'homme du Pacifique, Theodore Roethke est un poète isolé. Et l'isolement, chez lui, prend une résonance singulière qui lui confère le statut de nouveauté absolue dans la tradition américaine et imprègne toute son œuvre (Open House, 1941 ; The Lost Son and Other Poems, 1948 ; Words for the Wind, 1958 ; The Far Field, 1964 ; Collected Poems, 1966). Il y avait eu Emily Dickinson, au xixe siècle, dans le cloître du jardin paternel ; il y avait eu Thoreau délicieusement confondu avec la nature ; mais la grande tradition est indiscutablement d'abord et avant tout celle de Whitman, ce sauvage amoureux des foules poussant son cri « barbare » en plein cœur des cohues de Broadway. Sinon dans son existence personnelle, du moins dans sa poésie, le poète américain est un homme « grégaire » par fidélité à la démocratie historique. Roethke, lui, est seul, Roethke dit la solitude, Roethke dit le Nord géographique américain avec une douceur aiguë. D'ailleurs, cette impression de solitude s'accroît lorsqu'on ausculte la sonorité de ses vers, de ses laisses, de ses strophes géographiquement disposées sur la page telles des collines ou des îles autour desquelles respirerait la mer avec ses longs rouleaux pacifiques. Il y a une résonance de la méditation propre à l'écriture de Roethke, faite d'une subtile variation de rythme dans le rythme global, qu'introduira le plus souvent une notation, comme celle-ci : Je rêve à des voyages, interminablement, / De m'envoler comme chauve-souris au fond de tunnels de plus en plus resserrés, / De routes que je parcourrais seul, sans bagage, jusqu'au bout d'infinies péninsules, / Mon auto frôlant un regain de petites branches croulant sous la neige...

Bien sûr, c'est le dernier vers qui équilibre l'ensemble en ouvrant sur la réalité, en régénérant l'espèce de lassitude banale où les premières lignes se complaisaient. Roethke, dans ses meilleurs moments, parvient à secouer l'image poétique et à emporter du même coup l'adhésion du lecteur. D'où cette fréquente sensation qu'il remonte seul à contre-courant vers l'amont de la tradition, tournant le dos aux expériences modernes (Olson, Pound, Williams) pour finalement aboutir, par un étrange paradoxe, à un résultat proche. The Far Field (Le Champ lointain) n'est-il pas limitrophe de cette « composition par champs » que revendiquait Charles Olson ? Oui, mais à la différence d'Olson, le voyage au « champ lointain » de Roethke aura préalablement retraversé toute l'étendue de l'Irlande de Yeats et du Cumberland de Wordsworth, pour en arriver là.

Voyageant en Amérique à l'intérieur de la mémoire européenne, Roethke semble donc s'être exilé doublement. Il ne faudrait pas en déduire trop vite qu'il n'est pas américain. Par cet exil intérieur il l'est, au contraire, deux fois plus. Il l'est, surtout, autrement.

— Jacques DARRAS

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Écrit par

  • : écrivain, professeur de littérature anglo-américaine

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Pour citer cet article

Jacques DARRAS. ROETHKE THEODORE (1908-1963) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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