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TÀR (T. Field)

Le film Tár, de l’Américain Todd Field (2022), s’ouvre sur l’image d’un portable montrant la cheffe d’orchestre Lydia Tár (Cate Blanchett), endormie à bord d’un avion. Un texto laisse entendre qu’elle est tourmentée, un autre qu’elle est encore aimée. Puis le titre du film s’affiche, suivi de la présentation de la partie du générique qui, d’ordinaire, est montrée à la fin et consacrée aux divers postes artistiques, techniques, économiques. Vue de face, nous revoyons la cheffe d’orchestre, avant son entrée sur la scène de la Juilliard School de New York, où Adam Gopnik, le critique du New York Times, s’apprête à lui consacrer une master class. Avant que la rencontre ne commence, on peut voir Lydia jeter au sol un ensemble de disques vinyles de la musique de Gustav Mahler. Elle est soudain aidée dans son choix de l’un d’eux par un pied féminin, qui se pose sur la pochette de la Symphonie n°5, pied aussitôt caressé par celui de Lydia. Suit l’essayage d’un costume très masculin, en présence de son assistante, Francesca Lentini (Noémie Merlant), qui exhibe sur sa poitrine la pochette de ce même disque. Le ton est donné. Nous sommes invités à partager le monde intérieur de cette artiste vénérée, énergique, lesbienne, peut-être porteuse d’une faille.

Une femme puissante

Tár a été réalisé par Todd Field, ancien acteur de Woody Allen (Radio Days, 1987) et de Stanley Kubrick (Eyes Wide Shut, 1999), qui, après six courts-métrages, a réalisé deux longs, In the Bedroomen 2001 et Little Children en 2006. Ils se distinguaient déjà par la singularité déstabilisante des relations tendues, frustrées et perverses qu’entretenaient entre eux leurs nombreux personnages. Si le film s’en différencie par la focalisation extrême du récit sur le comportement névrotique d’une seule personne, il n’en est pas moins représentatif de l’univers troublant de cet auteur peu productif : un monde peuplé principalement d’êtres victimes de leurs passions ou obsessions, qui les conduisent à d’inexorables échecs.

Tárraconte donc l’histoire d’une cheffe d’orchestre américaine, que son sentiment de toute-puissance autorise à rabrouer publiquement un étudiant hostile à Jean-Sébastien Bach, trop « cisgenre » à ses yeux, à favoriser la candidature d’une violoncelliste russe autant pour son talent que pour son physique (Sophie Kauer) et à licencier son vieux chef-assistant, devenu trop critique. Elle peut même exiger de son assistante qu’elle taise son implication indirecte dans le suicide d’une ancienne relation, dont elle avait dénigré la personnalité auprès de possibles futurs employeurs. Des abus entraînés tant par sa passion dévorante pour son art que par son caractère autoritaire. « Le sujet de Tár, c’est le pouvoir », explique volontiers le cinéaste. Celui, démesuré, de la première femme à accéder au poste de cheffe au sein du plus prestigieux orchestre berlinois. Ne se connaissant pas elle-même et étant persuadée qu’un orchestre, « ce n’est pas une démocratie » – comme elle l’affirme à sa fille adoptive –, elle outrepasse volontiers ses droits, s’aliène jusqu’à sa compagne pourtant tolérante (Nina Hoss, au jeu tout en nuances) et sombre dans la corruption. Une histoire de « rise and fall », comme les aiment et les redoutent les Américains, et qui s’inscrit parfaitement dans la thématique lucide et amère du cinéaste.

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Écrit par

  • : enseignant-chercheur retraité de l'université de Strasbourg

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Pour citer cet article

Michel CIEUTAT. TÀR (T. Field) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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