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ESTES SLEEPY JOHN (1899 ou 1904-1977)

Si le blues se juge à la force du message chanté, Sleepy John Estes est au premier rang des bluesmen. Il a en effet composé nombre de pièces extraordinaires qui, partant d'une aventure personnelle ou d'un fait divers, aboutissent, grâce à un sens aigu de l'observation et à un humour caustique, à une description puissamment évocatrice du Sud ségrégationniste. Plusieurs de ses compositions sont devenues des standards du blues – Someday Baby, Milk Cow Blues, Broken Hearted, Diving Duck Blues, Everybody Oughta Make a Change – qui seront repris par d'innombrables artistes, de Muddy Waters à Elvis Presley et Eric Clapton. Il a aussi, en compagnie de Hammie Nixon, réellement créé le duo guitare-harmonica qui semble aujourd'hui si naturel au blues. Sleepy John Estes a également fortement contribué à définir le Chicago blues de l'après-guerre, dont un de ses disciples, John Lee « Sonny Boy » Williamson, est un des créateurs essentiels.

Originaire des environs de Brownsville, dans le Tennessee, John Adam Estes apprend la guitare avec son père, musicien dans les juke joints (cafés bon marché où il y a de la musique) locaux. Il forme son orchestre à cordes en 1919 en compagnie de James « Yank » Rachell, aussi habile à la mandoline qu'à la guitare, et des guitaristes Son Bonds et Charlie Pickett ; l'harmoniciste Hammie Nixon le rejoindra quelques années plus tard. Ils enregistreront tous, avec Sleepy John ou sous leurs propres noms, des œuvres inspirées par Estes et qui fondent un genre particulier dans l'histoire de cette musique : la critique donnera à ce genre, caractérisé par des brisures fréquentes du rythme, des improvisations dans les solos, une interaction guitare-guitare et surtout guitare-harmonica, le nom de « Brownsville blues ». La popularité de Sleepy John Estes et de ses accompagnateurs est grande ; elle parvient jusqu'aux oreilles du producteur Ralph Peer, qui est frappé par le timbre de voix mourant et le débit saccadé de John, par ses textes pleins d'astuce et d'humour et par la cohésion de l'ensemble. Estes enregistre ainsi en 1929 puis en 1930 à Memphis. Un des titres, Milk Cow Blues, connaît un succès tel qu'il lui vaut de gagner Chicago et d'y graver des disques sans discontinuer. Au contact du Chicago blues, la musique de Estes-Rachell-Nixon évolue, devient plus déliée, plus musclée, plus moderne tout en conservant le bouillonnement créatif de Brownsville.

Après 1941, Sleepy John connaît une période difficile ; il perd la vue, vit confiné près de Memphis mais réussit quand même à enregistrer pour Sun. Sur la foi de ses anciens disques, sa réputation ne cesse de grandir parmi les amateurs de blues, de plus en plus nombreux dans le monde entier. Grâce au photographe David Blumenthal, Estes est « redécouvert » en 1962 et il va enregistrer plusieurs albums pour le label Delmark (dont le meilleur est The Legend of Sleepy John Estes, 1962) et divers autres compagnies. Il apparaît à l'occasion des grands festivals internationaux, en Europe et au Japon. Cependant, Estes est alors un homme usé, à la silhouette fragile et dont la voix n'a plus la puissance d'antan. Lorsqu'il meurt à Brownsville le 5 juin 1977, les journaux de la ville saluent enfin en lui « le créateur musical qui a fait connaître Brownsville dans le monde entier ».

Sa première œuvre, essentielle, a été rééditée en deux CD (Sleepy John Estes : The blues. From Memphis to Chicago : 1929-1941, Frémeaux & Associés).

— Gérard HERZHAFT

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Gérard HERZHAFT. ESTES SLEEPY JOHN (1899 ou 1904-1977) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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