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ROLAND BARTHES (T. Samoyault)

Le roman d’une vie

Elle peut ensuite remonter le temps pour poser les bases de la singularité de Roland Barthes : un père disparu en mer dès 1916, une relation fusionnelle avec sa mère, les problèmes d’argent, la découverte de son homosexualité, puis la tuberculose et l’isolement au sanatorium. Ces expériences fondatrices font de lui un être en marge et surtout très seul, même parmi les siens. Empêché de faire des études universitaires, il ne se sentira jamais légitime en dépit du succès. Sa fascination pour les signes est aussi née de la maladie, qui a développé une attention exacerbée aux symptômes du corps, élargie par la suite au langage et au monde. Roland Barthes est un être de contradictions, et sa biographe affirme s’être attachée à « prendre acte de la violence de l’œuvre qui contraste terriblement avec la douceur de la personne et la relative insignifiance de la vie ». Une vie tout entière passée auprès de sa mère, un emploi du temps et des règles de vie quasi monacaux, même contrebalancés par les facteurs de désordre que sont les voyages et les sorties nocturnes.

Une autre des originalités de cette biographie est la manière dont elle situe l’écrivain dans le paysage intellectuel de son temps, non de manière monolithique, mais dans l’étoilement des stratégies et des relations complexes qu’un Barthes pluriel entretient avec ses grands contemporains : Gide, Sartre, Sollers, Foucault, qui font l’objet de chapitres, mais aussi Lévi-Strauss, Nadeau, Blanchot, Robbe-Grillet, Derrida, Deleuze ou Julia Kristeva. Masqué derrière une exquise gentillesse, il échappe sans cesse et à tous, et ce livre le fait concrètement ressentir.

Attaché au concept très moderne de « neutre », Barthes refuse qu’on lui assigne une identité, un genre, une idéologie. Il s’est toujours considéré comme un écrivain plus que comme un intellectuel et, pour chacun de ses livres, il a cherché à inventer une forme nouvelle. C’est donc assez naturellement qu’il glisse vers l’écriture de soi. En 1977, le choc de la mort de sa mère, la femme de sa vie, lui fait prendre conscience de l’urgence et ancre sa volonté d’écrire un roman « monumental », à la préparation duquel il consacre un millier de fiches. Tiphaine Samoyault se dit convaincue que, sans l’accident, cette Vita nova – titre donné au projet – aurait vu le jour.

Le centenaire est l’occasion de constater l’importance de l’héritage de Roland Barthes qui « a formé ses élèves et ses lecteurs à la nécessité de mettre les savoirs en tension, à la déprise, à une culture affective, à la rencontre de l’improbable ». Ajoutons que sa conception novatrice de l’écriture anticipe les tendances de la littérature d’aujourd’hui : défiance envers les évidences du langage, promotion du lecteur comme auteur, goût pour l’étoilement des biographèmes, prémonition de la disparition du livre au profit de fragments en constante réorganisation.

— Christine GENIN

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Écrit par

  • : agrégée de lettres, docteure ès lettres, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France

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Pour citer cet article

Christine GENIN. ROLAND BARTHES (T. Samoyault) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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