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TOULOUSE ROGER (1918-1994)

En 1936, Max Jacob dépose un petit mot chez le libraire orléanais qui expose quelques toiles à sa devanture, à l'intention de leur auteur : « Monsieur, votre peinture m'intéresse, venez à Saint-Benoît ». Il venait à l'instant même de découvrir Roger Toulouse. Le choc de la rencontre entre les deux hommes fut décisif, et durable l'amitié complice entre le jeune homme alors âgé de dix-huit ans et le caustique poète montmartrois revenu de tout, récemment converti et retiré en l'abbaye de Saint-Benoît pour s'y livrer à la méditation. La mort tragique de « Max » au camp nazi de Drancy en 1944 bouleverse le peintre qui se chargera de l'inhumation du poète dans le petit cimetière de Saint-Benoît.

Entre ces deux dates, Roger Toulouse, esprit indépendant, non conformiste, curieux de tout (il est successivement ferblantier, graveur sur pierres tombales, trapéziste au Cirque d'hiver, coureur cycliste des dimanches), passionné par la lecture des romantiques allemands et poète lui-même, est devenu le familier des amis de Max, qui parraine son talent : il a dix-neuf ans quand Max Jacob le présente à Picasso ; il n'en a pas vingt quand toute sa production est achetée par Gertrude Stein, et ses vingt ans, salués par l'admiration d'André Salmon, voient la « colonie américaine » de Paris acheter massivement les toiles de sa première exposition chez Georges Maratier. Il est le Radiguet de la peinture (et Max Jacob est son Cocteau). Pourtant, Roger Toulouse ne se laisse pas griser par ces succès rapides : bien au contraire, il se retire à Orléans et, travailleur patient, laborieux, terriblement exigeant pour lui-même, il se livre sans concession au métier de peintre.

Figuratif par tempérament et fidélité, surréaliste peut-être, mystique assurément, inquiet passionnément, il se livre à une quête strictement personnelle, à l'abri des courants qui emportent les modes fugitives de l'école de Paris. Patiemment, il se forge une grammaire de signes et va lui demeurer fidèle : accents circonflexes baladeurs, démesurément ouverts par le compas de l'angoisse, prismes, cônes, parallélépipèdes trébuchants, dépourvus pourtant de toute référence au cubisme aboli. Les objets les plus familiers (la charrue, la pendule, l'horloge, le cor d'harmonie, les ciseaux : exposés en 1961) ou les spectacles du quotidien (la cathédrale, la ferme, la morte) ou les grands aînés admirés (Dante, Luther, Beethoven ou Savonarole) suscitent un malaise, une inquiétude à la limite du supportable : monde fragile, menacé, au bord de la chute. Sur les toiles, la pâte, très dense et richement travaillée dans une technique pointilliste très personnelle, ne laisse rien au hasard et emprisonne les formes dans des camaïeux aux nuances de pastel : vert pâle, gris lilas, mauves bleutés. Roger Toulouse préfère laisser vibrer les tons plutôt que hurler des valeurs violemment affrontées. Son admirable Portrait de Max Jacob (musée de Quimper) nous présente le poète triste et désabusé, la bouche mince et amère et les yeux béants dans la tête penchée, sous l'auréole blanche des cheveux, à côté du chardon qui taquine l'épaule, le col largement ouvert pour l'échafaud de la mort prochaine.

Peintre et poète, professeur ou sculpteur (sur bois ou dans la tôle dont il monte lui-même au chalumeau les puzzles éclatés), Roger Toulouse tient à demeurer l'artisan modeste de ses œuvres, d'une probité rare.

— Guy BELOUET

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Guy BELOUET. TOULOUSE ROGER (1918-1994) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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