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JUARROZ ROBERTO (1925-1995)

Reconnu comme une des grandes voix poétiques de ce siècle par des écrivains de l'envergure de René Char, Julio Cortázar ou Octavio Paz, l'Argentin Roberto Juarroz, né à Coronel Dorrego (province de Buenos Aires), a professé, tout au long de sa vie, une modestie et une discrétion qui ont parfois nui à la diffusion et à la reconnaissance de son œuvre. Sur le plan personnel, il y a très peu à dire d'un homme qui s'est toujours retranché derrière ses poèmes. Dans une interview de 1980, il déclarait que, « ce qui est intéressant, c'est beaucoup moins les liens entre la poésie et la biographie que ceux qui unissent poésie et vie intérieure ».

En 1958, Juarroz publie son premier livre, intitulé Poésie verticale. Douze autres volumes suivront (le dernier est paru en 1994), portant tous le même titre, avec pour seule variante un adjectif ordinal. Cette « verticalité » constamment affirmée illustre la volonté du poète de « descendre » au fond des choses ou de se « hisser » au cœur de la transcendance. Cette démarche, comme celle de Paz, est destinée à « faire tomber les masques » de nos habitudes les plus routinières, de nos mensonges les plus mesquins ou d'un langage dévoyé, afin de nous confronter à certaines « réalités » inéluctables : la mort, le doute sur le sens de l'existence, le vertige du vide, l'appel du sacré, la tenaille du souvenir et de l'oubli. D'où l'extrême dépouillement de l'expression poétique de Juarroz et aussi les multiples occurrences, dans ses poèmes, de néologismes précédés du préfixe « dé » : « dénaître », « démourir », « dévivre », « se dénéantiser ».

Une autre grande préoccupation est la double recherche des « limites » (« Je me consacre aux marges de l'homme », Treizième Poésie verticale, 1994), mais aussi d'un « centre », défini dès le premier livre comme « ce lieu où commence l'autre côté ». C'est dans la perte de lui-même que le poète se découvre et finit par percevoir « un rythme secret et solitaire » : « J'ai atteint mes incertitudes définitives. / Ici commence ce territoire / où il est possible de brûler toutes les issues / et de créer son propre abîme / afin d'y disparaître » (Cinquième Poésie verticale, 1975).

Inlassablement, Juarroz reprend sa quête et le redoublement, la réitération, l'anaphore sont au cœur même de sa création. Ici, « toute chose renvoie à autre chose [...]. Peut-être tout renvoie-t-il à un centre ? [...] Mais tout centre renvoie vers son extérieur » (Sixième Poésie verticale).

Juarroz, comme l'a noté Roger Munier, élabore de recueil en recueil « une odyssée de l'absence », où la poésie apparaît comme génératrice, sinon de « vérité », du moins de « présence ». Ses poèmes sont parcourus par une sorte de frisson, d'angoisse sourde, mais aussi d'émotion (« la poésie sera toujours proche de l'amour »), qui en bannissent la froideur qu'on a parfois cru y déceler : « Il n'y a pas de poésie sans silence et sans solitude. Mais la poésie est également la forme la plus pure pour dépasser le silence et la solitude. »

— Claude FELL

Bibliographie

En espagnol : Duodécima Poesía vertical, Carlos Lohlé, Buenos Aires, 1991 ; Poesía vertical. Antología, Francisco José Cruz Pérez éd., Visor, Madrid, 1991 ; Decimotercera Poesía vertical, Pre-Textos, Valence (Espagne), 1994.

En français : Poésie et création, trad. F. Verhesen, Unes, Le Muy, 1987 ; Poésie et réalité, trad. J.-C. Masson, Lettres Vives, Paris, 1987 ; Poésie verticale, trad. et Préface R. Munier, Fayard, Paris, 1989.

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle

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Pour citer cet article

Claude FELL. JUARROZ ROBERTO (1925-1995) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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