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PÉTERSBOURG, Andréi Biély Fiche de lecture

1910 : Andréi Biély (1880-1934) a trente ans. Il a été intimement mêlé, dix années durant, à l'aventure du symbolisme russe. Ami d'Alexandre Blok, il a contribué à fonder une nouvelle conception de la littérature comme recherche spirituelle. Poète (Or sur azur, 1904), prosateur (Les Symphonies, 1900−1905), théoricien et philosophe (Le Symbolisme comme vision du monde, 1904), il a intensément vécu les secousses historiques de son temps, et, à partir de l'insurrection de 1905, s'est senti très attiré par les partis d'extrême gauche, dont il partage largement le maximalisme anarchiste. L'idée révolutionnaire est pour Biély partie prenante d'une vision apocalyptique des destinées de la Russie, qui trouvera son expression dans deux grands romans. Le premier sera Le Pigeon d'argent (1910), où une peinture de la Russie des campagnes est mise au service d'une réflexion sur la faille qui divise de manière catastrophique le pays entre une culture urbaine occidentale et l'appel violent qui monte « des profondeurs » du pays. Après Kotik Letaev (1914), Pétersbourg, conçu comme le volet « urbain » de la trilogie, sera le chef-d'œuvre de Biély et l'un des grands romans européens du xxe siècle. Inspiré par les événements de 1905 à Saint−Pétersbourg, écrit entre 1910 et 1913 dans une fièvre qui confine au délire, alors que Biély sillonne l'Europe pour assister aux « conférences secrètes » dispensées par l'anthroposophe Rudolf Steiner, il porte la marque de cette naissance chaotique. Le livre est terminé en 1913. Publié en 1916, il sera remanié et refondu en 1922.

Le roman d'une ville

Pétersbourg raconte une histoire de terreur et de provocation politique : le sénateur Ableoukhov, petit vieillard cacochyme, parcourt, tel un vampire, les perspectives rectilignes de la ville dans son coupé laqué noir. Son fils Nicolas fréquente les cercles terroristes anarchistes de la capitale, et en particulier le militant Doudkine, avec qui il entretient une relation fascinée. Le parti ordonne au jeune Ableoukhov de tuer son propre père en faisant exploser une bombe, « boîte de sardines à l'abominable contenu ». Dès lors, le livre avance au rythme fatidique de la bombe dont l'explosion finale ne blesse personne, mais signe la déroute des personnages principaux : Doudkine, dans un délire éthylique, s'imagine poursuivi par le « Cavalier de bronze », la statue équestre de Pierre le Grand. Il assassine un équivoque agent double avant de sombrer dans la folie. Le sénateur prend sa retraite et retombe en enfance. Le fils part, voyage, abandonne la politique et se plonge dans des lectures de philosophie religieuse. Tout autour frémit le Pétersbourg de l'année 1905, agité par les premiers signes de la révolte prête à éclater.

La trame événementielle est de peu d'importance au regard de la densité thématique et langagière de l'œuvre. Tout l'espace du livre est envahi par Pétersbourg, ville à la fois abstraite, géométrique, cérébrale, née de la volonté d'un seul, et grouillant de créatures interlopes, bêtes ou hommes morcelés, gargouilles et grenouilles : « Point d'hommes sur la perspective Nevski ! Mais un myriapode rampant et hurlant. L'espace humide déversait une cacophonie de voix, une cacophonie de mots ; et tous ces mots, après s'être emmêlés, s'assemblaient en une phrase. Cette phrase paraissait absurde ; elle s'élevait au-dessus de la perspective Nevski et stagnait, nuage noir d'ineptie. » Beauté et horreur y échangent leurs signes, les personnages se raidissent en marionnettes ou en automates. Le visage humain déformé, disqualifié et dégradé se recompose en une « entité étrange », un « corps grotesque », d'une autre nature. Les transformations et déformations, les incertitudes et les métamorphoses, tout contribue à la désintégration de la cohérence du personnage. Le dédoublement[...]

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Écrit par

  • : ancienne élève de l'École nationale supérieure de Sèvres, maître de conférences honoraire à l'université de Paris-Sorbonne

Classification

Pour citer cet article

Hélène HENRY. PÉTERSBOURG, Andréi Biély - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BIÉLY ANDRÉI (1880-1934)

    • Écrit par Georges NIVAT
    • 2 503 mots
    ...premier véritable roman, Le Pigeon d'argent (1910) : sectes sauvages, crimes rituels, contamination de la violence, de la haine, de l'érotisme. Le thème de la clandestinité et du fantastique souterrain court d'une œuvre à l'autre de Biély. Avec Pétersbourg (1916), ce thème devient...

Voir aussi