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PÉPLUM ITALIEN

Les films historiques ou pseudo-historiques constituent un genre de prédilection pour le cinéma italien, en particulier les films mettant en scène une Antiquité qui doit autant à l'information historique qu'à l'imagination débridée des auteurs. Dans le cinéma des premiers temps, beaucoup de productions naissent du souci d'améliorer la dimension spectaculaire des films et d'asseoir les sujets sur des éléments culturels empruntés à la littérature, au théâtre, à l'opéra, voire à la peinture en matière de référence iconographique. La société Ambrosio de Turin produit en 1908 la première version des Derniers jours de Pompéi et en 1909 un Néron qui utilise les ressources dramatiques d'un personnage sanguinaire. Les deux films, réalisés par Luigi Maggi, dépassent les 300 mètres et constituent une étape décisive dans l'allongement des métrages. De son côté, l'Itala, autre société turinoise, produit en 1909 un Jules César réalisé par Giovanni Pastrone, qui pose les bases d'une iconographie héroïque du chef romain.

En 1911, la Milano Films finance le premier long-métrage de l'histoire du cinéma italien, L'Enfer de Francesco Bertolini et Aldolfo Padovan : s'inspirant du poème de Dante, les auteurs suivent Dante et Virgile dans les cercles de l'enfer – prétexte à des scènes spectaculaires qui mettent en œuvre de nombreux trucages. La même année, la Cines de Rome, avec La Jérusalem délivrée d'Enrico Guazzoni, et l'Itala, avec La Chute de Troie de Giovanni Pastrone et Romano Luigi Borgnetto, confirment la vogue des films en costumes. La conquête du marché américain est le fait le plus notable de l'expansion italienne : au début des années 1910, l'engouement du public conduit les distributeurs américains à consentir d'importantes avances aux sociétés italiennes. Ainsi se trouve résolu le problème du financement de films historiques de plus en plus coûteux : autour de 1912-1913 sont réalisées quelques-unes des œuvres les plus célèbres, des péplums qui imposent définitivement le long-métrage et qui influencent même par la nouveauté de leur langage les cinéastes américains, à l'image de Griffith qui, après Judith de Béthulie (1914), se lance dans l'entreprise babylonienne d'Intolérance (1916). Le public peut ainsi découvrir en 1913 Quo vadis ? de Guazzoni, Les Derniers Jours de Pompéi dans la version de Rodolfi et dans celle de Vidali, Marc-Antoine et Cléopâtre de Guazzoni et surtout, en 1914, œuvre de référence à laquelle Gabriele D'Annunzio a associé son nom, Cabiria de Giovanni Pastrone. Pendant les années 1910, le cinéma italien connaît un moment d'apogée : les films transalpins, généralement plus longs et réalisés avec de plus gros moyens que ceux des autres cinématographies, sont vendus dans le monde entier, non seulement en Europe de l'Ouest et aux États-Unis mais aussi en Russie, en Argentine et dans toute l'Amérique latine.

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Ce goût pour le film historique est à mettre en rapport en Italie avec la recherche de racines dans un pays d'unification récente. Il passe dans le péplum un sentiment d'affirmation identitaire pour un peuple qui se construit un passé idéalisé à base d'exaltation de l'Antiquité. Le nationalisme se cherche des modèles héroïques : la volonté de puissance liée à l'Empire romain débouche alors sur l'interventionnisme dans la Première Guerre mondiale et conduit au fascisme, avec l'image du Duce comme successeur des empereurs romains. Ainsi, dans les années 1930, à un moment où la crise a conduit à la quasi-disparition des grands films en costumes, la propagande exaltera les conquêtes coloniales en Éthiopie en produisant Scipion l'Africain de Carmine Gallone (1937), monument à la gloire du « fondateur de l'Empire ».

Malgré les difficultés financières qui s'abattent sur le cinéma italien au lendemain de la Première Guerre mondiale, quelques œuvres ambitieuses sont encore réalisées au cours des années 1920 : Théodora de Leopoldo Carlucci (1921), La Nef de Gabriellino D'Annunzio et Mario Roncoroni (1921), Messaline d'Enrico Guazzoni (1923), Quo vadis ? de Gabriellino D'Annunzio et Georg Jacoby (1924), Les Derniers Jours de Pompéi d'Amleto Palermi et Carmine Gallone (1926), Judith et Olopherne de Baldassare Negroni (1928). Ces films reposent sur une exacerbation de la violence et de l'érotisme et sur une vision de plus en plus manichéenne du monde. À l'opposé des films des années 1910, qui exprimaient souvent une spiritualité intense et une vision assez respectueuse de l'Antiquité, les œuvres des années 1920 véhiculent une image brutale et sensuelle de la société romaine. Ainsi, au moment où le genre s'épuise, il évolue vers un maniérisme grandissant et se préoccupe avant tout – sans renouvellement de ses sources d'inspiration – d'efficacité spectaculaire. La crise qui fait disparaître le péplum pendant une vingtaine d'années souligne la puissance nouvelle du cinéma américain : c'est désormais à l'initiative d'Hollywood que se réalisent de grandes œuvres de prestige sous la direction de Fred Niblo (Ben Hur, 1925), de Cecil B. DeMille (Les Dix Commandements, 1923 ; Le Roi des rois, 1927 ; Le Signe de la croix, 1932 ; Cléopâtre, 1934), sans oublier Merian Cooper et Ernest B. Shoedsack, qui signent en 1935 un remake des Derniers Jours de Pompéi.

Cecil B. DeMille et Ernst Lubitsch - crédits : John Kobal Foundation/ Moviepix/ Getty Images

Cecil B. DeMille et Ernst Lubitsch

<it>Les Dix Commandements</it> - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Les Dix Commandements

Relancé après la Seconde Guerre mondiale en Italie par Fabiola (1947) d'Alessandro Blasetti et Les Derniers Jours de Pompéi (1950) de Marcel L'Herbier, le péplum redevient le genre populaire par excellence des années 1950, avant qu'il ne soit remplacé au milieu des années 1960 par le « western spaghetti ». Désormais, la couleur et le cinémascope (introduit par La Tunique de Henry Koster en 1953) apportent de nouvelles ressources spectaculaires à un genre qui se sert de l'histoire et de la mythologie comme d'un catalogue de situations narratives. Inscrit dans une Antiquité revisitée avec plus ou moins de respect, le péplum a ses héros – Hercule, Maciste, Ursus – et ses personnages récurrents – Spartacus, Théodora, Cléopâtre, Messaline ; il a aussi ses spécialistes : Riccardo Freda, Vittorio Cottafavi ou Pietro Francisci, qui obtient un énorme succès en 1958 avec Les Travaux d'Hercule suivi d'Hercule et la reine de Lydie. Même les vétérans s'y adonnent, comme Mario Camerini avec un remarquable Ulysse (1954) interprété par Kirk Douglas, ou Mario Bonnard qui tourne une nouvelle version des Derniers Jours de Pompéi (1959). Sergio Leone y fait ses débuts avec Le Colosse de Rhodes (1960). Cinéma de genre par excellence, capable d'innombrables variations sur des thèmes immuables, le péplum italien qui s'oppose aux superproductions américaines (Quo vadis ?, 1951, de Mervyn LeRoy ; Les Dix Commandements, 1956, de Cecil B. DeMille ; Ben Hur, 1960, de William Wyler ; Cléopâtre, 1963, de Joseph Mankiewicz ; La Chute de l'Empire romain, 1964, d'Anthony Mann), est le lieu d'un imaginaire populaire qui exalte les justiciers écrasant les tyrans, les redresseurs de torts aux muscles d'acier, les libérateurs des peuples opprimés.

— Jean A. GILI

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Écrit par

  • : professeur émérite, université Paris-I-Panthéon Sorbonne

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Cecil B. DeMille et Ernst Lubitsch - crédits : John Kobal Foundation/ Moviepix/ Getty Images

Cecil B. DeMille et Ernst Lubitsch

<it>Les Dix Commandements</it> - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Les Dix Commandements

Autres références

  • ITALIE - Le cinéma

    • Écrit par
    • 9 341 mots
    • 5 médias
    À côté des films engagés, le public plébiscite les œuvres de divertissement. Les péplums, qui ont rempli les salles dans les années 1950, voient leur place se réduire progressivement dix ans après, balayés par la mode des « westerns spaghettis ». En 1964 sort Per un pugno di dollari (...
  • PASTRONE GIOVANNI (1882-1959)

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    • 681 mots
    • 1 média

    Giovanni Pastrone est né à Montechiaro d'Asti en 1882. Il découvre le cinéma à l'âge de vingt-cinq ans en entrant comme comptable à la société Carlo Rossi & Cie qui vient d'être fondée à Turin en 1907. Une trentaine de films sont produits et distribués en Italie et à l'étranger. Des difficultés financières...

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