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RÉE PAUL (1849-1901)

Le nom de Paul Rée est indissociablement lié à ceux de Nietzsche et de Lou Andreas-Salomé. Avec eux, Rée forma le célèbre « trio », auquel les biographes se sont souvent attachés au point d'en faire une image d'Épinal. Il est probable que son influence sur Nietzsche mérite d'être appréciée sur un fond plus philosophique et que l'amitié qui a lié pendant dix ans les deux hommes constitue un événement non négligeable pour l'itinéraire nietzschéen lui-même. Né à Bartelshagen en Poméranie, d'une famille de propriétaires terriens, Paul Rée avait donc vingt-quatre ans lorsqu'il rencontra Nietzsche à Bâle, en mai 1873, par l'intermédiaire d'un ami commun, Heinrich Romundt. Très rapidement, les correspondances en témoignent (Nietzsche, Rée, Salomé, Correspondance, P.U.F., Paris, 1979), les deux hommes se lient et forment même le projet d'une sorte de vie commune, d'un « cloître à deux », aux destinées duquel préside alors Malvida von Meysenburg. Nietzsche est déjà l'auteur célébré de l'Origine de la tragédie et des premières Considérations intempestives ; il fréquente Wagner depuis 1868 et se prépare à une rupture avec l'auteur de L'Or du Rhin, que la rencontre avec cet « esprit libre » qu'est Paul Rée va en quelque sorte favoriser. Celui-ci avait entrepris des études de droit à Leipzig et, après la guerre de 1870, décidé de se consacrer à la philosophie, qu'il étudia à Halle. Sa thèse portait sur l'éthique d'Aristote. En 1875, il publia des Observations psychologiques, recueil de maximes et aphorismes, dans lesquels Nietzsche ne pouvait manquer de reconnaître une manière proche de la sienne.

L'amitié entre les deux hommes culmine entre 1876 et 1877, lorsqu'ils partagent tous deux l'hospitalité de Malvida von Meysenburg à Sorrente, en Italie, et que Paul Rée publie L'Origine des sentiments moraux (Der Ursprung der moralischen Empfindungen), ouvrage auquel Nietzsche va répondre avec Humain, trop humain. Il y a alors quasiment identification entre la pensée des deux hommes. On s'accorde généralement à penser que Rée n'aurait joué auprès de Nietzsche que le rôle accessoire d'une sorte de révélateur, voire de distraction au moment de la rupture avec Wagner. Lou Andreas-Salomé suggère en tout cas que lorsque Nietzsche, dans Le Gai Savoir, parle « d'amitié stellaire », c'est bien par référence à Paul Rée, dont Nietzsche, d'ailleurs, évoquera aussi la pensée dans La Généalogie de la morale et dans Ecce Homo. Il admire alors chez Rée le « réveil de l'observation psychologique », dans un travail encore fortement influencé par Schopenhauer. L'amitié, proprement passionnelle, entre Nietzsche et Paul Rée va prendre fin avec l'arrivée de Lou en 1882 et l'échec de la tentative du « trio ». La rupture est consommée lorsque Nietzsche refuse en 1883 que Rée lui dédie son dernier ouvrage : L'Origine de la conscience.

N'ayant pas trouvé son chemin dans la philosophie, Rée entreprit en 1885 des études de médecine, à Berlin puis à Munich ; et il s'installa en 1890 comme médecin à Stibbe, en Prusse-Orientale, où se trouvait sa propriété familiale. Il y soigna gratuitement de nombreux malades et laissa le souvenir d'un homme qui avait vécu « comme un saint » (K. Rolle, « Notes sur Paul Rée », in Revue d'anthropologie, sept. 1927). En 1900, il s'installa à Celerina en Haute-Engadine, dans une région que Nietzsche avait souvent parcourue. Il se tua lors d'une promenade en montagne, en tombant d'une falaise.

— Jean-Luc PINARD-LEGRY

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Jean-Luc PINARD-LEGRY. RÉE PAUL (1849-1901) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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