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DARWICH MAHMOUD (1941-2008)

Un « lyrisme épique »

La tragédie du peuple palestinien marque également les deux recueils : C'est une chanson, c'est une chanson (1984), où le lyrisme exprimé avec finesse et musicalité atteint son paroxysme, et Plus rares sont les roses (1986), où le « Nous » domine la trame poétique. Ce second recueil, composé de poèmes en vers libres et de poèmes en prose relativement courts, exprime le voyage sans fin d'un peuple voué à l'exode. Beyrouth revient dans Mémoire pour l'oubli (1987), un ouvrage en prose où le poète relate ses souvenirs de la ville pendant le siège de 1982.

Mahmoud Darwich consacre à l'intifada palestinienne (1987) un ouvrage intitulé Gens de passage en quelques mots (1989), rédigé principalement en prose. Il y décrit un événement simple mais fortement significatif. « Une simple pierre » (hajar) montre aux Israéliens que leur présence dans les Territoires est une occupation, et révèle aux Palestiniens leur « extraordinaire secret, leur identité ». Les deux recueils : Je vois ce que je veux (1990) et Onze Astres sur l'épilogue andalou (1992), reprennent, certes, la symbolique de « la pierre » dans quelques poèmes, mais la dépassent largement vers « un lyrisme épique » plus expressif, où le poète concilie vie intime et interrogations existentielles sur « la place du Palestinien au monde ». Le siège de Ramallah (2002) inspirera le recueil-poème État de siège (2002) où le poète rappelle au combattant israélien, à travers l'évocation des scènes quotidiennes, les valeurs qui les unissent. Avec un style dépourvu de toute rhétorique classique, il interpelle ainsi les assiégeants : « Ceux qui sont debout devant nos portes, entrez / et prenez le café arabe avec nous / sentiriez-vous peut-être que vous êtes, comme nous, des êtres humains. »

Soucieux de libérer l'Histoire de son cadre spatio-temporel pour lui attribuer une expression humaine et pérenne, Mahmoud Darwich diversifie les thèmes sans renoncer à son lyrisme. Il écrit Pourquoi as-tu laissé le cheval à sa solitude ? (1995), une autobiographie où les souvenirs d'enfance se fondent totalement dans l'épopée nationale. Un simple souvenir, exprimé avec la spontanéité de l'enfant parlant à sa mère, se mêle ici aux mythes, légendes, histoires, aux personnages historiques et aux sources religieuses pour exprimer le drame du présent. Le recueil Un lit pour l'étrangère, écrit entre 1996-1997 et publié en 1999, est un hymne à l'amour. Il couronne une expérience amoureuse débutée dans La Fin de la nuit (1967) avec Rita, pseudonyme renvoyant à sa première histoire d'amour avec une femme juive. Rita qui surgit dans plusieurs recueils est la femme-symbole. En même temps qu'elle incarne l'impossibilité d'un amour entre deux ennemis, elle exprime la dualité du « Moi » du poète et l'ambiguïté d'une relation perdue entre union et séparation.

La dégradation de son état de santé marque de ses empreintes les derniers recueils du poète. La mort, le désespoir et l'exil sont omniprésents dans le poème Murale (2000). Dans En présence de l'absence (2006), présenté comme un « texte » de 30 chapitres, Darwich évoque, avec une imagination débridée, les thèmes de toute une vie. En revanche, et paradoxalement, les recueils Ne t'excuse pas (2004) et Comme des fleurs d'amandiers ou plus loin (2005) célèbrent la vie et louent la beauté. Le dernier recueil, Les Traces du papillon (2008), défini comme « Journal » (Yawmiyyât) et composé en majorité de poèmes en prose, se distingue lui aussi par la diversité de ses thèmes.

L'art poétique de Mahmoud Darwich confirme l'image d'un poète soucieux de son statut. Il a renouvelé pendant quatre décennies la langue et la forme poétique. C'est pourquoi, il n'est pas aisé d'en définir, en peu[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature arabe moderne à l'Institut national des langues et civilisations orientales

Classification

Pour citer cet article

Sobhi BOUSTANI. DARWICH MAHMOUD (1941-2008) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Mahmoud Darwich - crédits : Ulf Andersen/ Getty Images

Mahmoud Darwich

Autres références

  • LA TERRE NOUS EST ÉTROITE (M. Darwich)

    • Écrit par Yves GONZALEZ-QUIJANO
    • 628 mots

    Au-delà des lumières qu'elle jette sur l'œuvre du poète palestinien, la publication de La terre nous est étroite (2000) de Mahmoud Darwich (1941-2008) met en évidence les enjeux de la création poétique dans les lettres arabes au seuil du xxie siècle.

    Un premier choix de poèmes, ...

  • ARABE (MONDE) - Littérature

    • Écrit par Jamel Eddine BENCHEIKH, Hachem FODA, André MIQUEL, Charles PELLAT, Hammadi SAMMOUD, Élisabeth VAUTHIER
    • 29 245 mots
    • 2 médias
    ...sa façon de la douleur de l'être au monde, de l'exil, qu'il soit intérieur ou géographique, qui caractérise l'individu moderne. Le poète palestinien, Mạhmūd Darwīš (Mahmud Darwish, 1941-2008) traverse ainsi les guerres et les exils en produisant une poésie où peut se lire une expérience multiple, celle...

Voir aussi