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COLET LOUISE (1810-1876)

Écrire au plus près de l’émotion

Dans un siècle profondément misogyne, son engagement pour la cause féminine est constant : ses poèmes prennent des accents de lamentation élégiaque (« Femme ! en est-il d'heureuses ici-bas ? ») et de sororité très modernes (« Toutes vous m'êtes sœurs, et toutes je vous aime »). Elle publie entre 1853 et 1856 trois longs récits en vers, La Paysanne, La Religieuseet La Servante, dont les dernières pages évoquent la communauté des mortes-vivantes enfermées dans l’asile-prison de la Salpêtrière, déchets relégués du pouvoir masculin. Ses biographies font aussi une large part aux femmes. À propos de Madame de Lambert (1843), elle note qu’« un esprit de dénigrement systématique a toujours poursuivi les femmes auteurs » et que « la vie de famille et la solitude du cloître en dérobèrent plus d’une à une réputation brillante », mais que celles qui ont persévéré « nous ont laissé […] des pages qu’aucun homme n’aurait pu écrire comme elles ». En 1847, elle réhabilite Émilie du Châtelet, éclipsée par Voltaire : « N’est-ce pas aux femmes qui tiennent une plume à revendiquer ces touchantes et nobles mémoires » ?

Les reproches faits à l’écriture de Louise Colet sont d’ailleurs souvent des procès d’intention adressés à son sexe. Le monde masculin des lettres pointe dans la littérature féminine le manque (d’objectivité, de métaphysique, de composition) et surtout l’excès (trop de phrases, de larmes, de sentiments, de pathos, de désir de plaire, de vie privée). La littérature féminine déborde, elle est du côté liquide, dévalorisé par rapport à la virilité phallique de la vraie littérature. Face à ces reproches, Louise Colet adopte une position assez inattendue : elle campe sur ses positions et relève le défi en accentuant ce qu’on lui reproche. Elle revendique haut et fort une écriture féminine et le droit d’être reconnue en tant que femme et écrivain. Elle garde son nom, ne prend pas, comme beaucoup, de pseudonyme masculin, et entend prouver qu’il existe une autre voie que celle du masculin tout puissant.

Elle s’inscrit dans le camp qui combat la théorie de l’impersonnalité et de l’art pour l’art et le revendique dans son Monument de Molière (1843) : « L'art ne fut pas pour vous cette stérile étude/Qui peuple d'un rhéteur la froide solitude […]/L'art a jailli pour vous nouveau, libre, animé,/De tous les sentiments dont l'homme est consumé ». De fait, elle écrit au plus près de la vérité des sentiments et des émotions, fuit tout ce qui tient la littérature à distance de la vie et de ses vicissitudes, et ne s’interdit pour cela aucun des matériaux à sa disposition, et certainement pas son expérience.

Injustement traitée par la postérité, l’œuvre de Louise Colet est restée absente de la plupart des manuels d'histoire littéraire au cours du xxe siècle. Au xxie siècle, on note pourtant un regain d'intérêt pour une écrivaine libre et paradoxale, et par bien des aspects très moderne.

— Christine GENIN

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Écrit par

  • : agrégée de lettres, docteure ès lettres, conservatrice à la Bibliothèque nationale de France

Classification

Pour citer cet article

Christine GENIN. COLET LOUISE (1810-1876) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • FLAUBERT GUSTAVE (1821-1880)

    • Écrit par Pierre-Marc de BIASI
    • 9 824 mots
    • 1 média
    ...sa grand-mère. Gustave écrit, avec son ami Du Camp, Par les champs et par les grèves, après une randonnée sur les routes de France ; il rencontre Louise Colet, chez le sculpteur Pradier ; cette première liaison durera jusqu'en 1848, puis reprendra de 1851 à 1854. Gustave pense à plusieurs projets...